par Miles Davis
Columbia - 1959
“Le plus grand album de jazz”. Je mets des guillemets, car, d’une part, je ne suis pas d’accord, et d’autre part parce qu’une telle assertion est forcément exagérée. Cet album porte sur son dos cette appellation, au point même qu’elle l’asphyxie, qu’on ne peut pas dire que certains passages sont moins bons que d’autres, non, c’est “le plus grand”, donc on en dit que du bien, point barre. Ceci étant dit, j’étais quand même sur les fesses la première fois où j’ai écouté Kind of Blue, dans tous les sens du terme. Je vais toutefois essayer de me détacher du mythe pour en parler, disons.. “objectivement”.
Miles Davis, c’est le type qui a révolutionné 3 fois le jazz. Aïe, je suis déjà dans l’hyperbole. En 1949, il ralentit le tempo du bepop, dominant à l’époque, avec notamment Charlie Parker, pour qui Miles a joué, et crée le cool jazz avec l’album The Birth of Cool (le mec sait ce qu’il fait en plus). Ce nouveau style dominera le jazz pendant la décennie suivante. En 1969, il crée ce qu’on appellera le jazz-rock fusion avec le double album Bitches Brew sur lequel on retrouve un certain John McLaughlin. On est alors très loin du cool jazz. Et évidemment, pendant la décennie qui suivra, le jazz-rock fusion dominera le monde du jazz (et je simplifie à peine).
Et entre les deux, en 1959, il va créer le jazz modal, qui dominera… vous connaissez la suite. C’est donc en 1959 que sort Kind of Blue, un album sur lequel Miles Davis a réuni une équipe du feu de dieu : John Coltrane au sax, Bill Evans au piano, Paul Chambers à la basse, Jimmy Cobb à la batterie et Julian “Cannonball” Adderley au sax alto, tous considérés comme des éminences pour chacun de leurs instruments. La dreamteam.
Avant de continuer, il faut que je vous explique ce que c’est que ce jazz modal. Sans entrer dans les détails techniques, c’est une façon de jouer qui ne se soucie plus des grilles harmoniques, qui n’utilise plus d’instruments à cordes, qui permet de modifier la mélodie à souhait. Le jazz modal n’utilise que très peu d’accords, et se balade plutôt de gamme en gamme, improvise, va pêcher ses inspirations ici et là, sans se soucier.. et bien sans se soucier de quelconques restrictions. Dit comme ça, vous vous dites sûrement que ça ne ressemble à rien, que c’est un bordel sans nom, et bien.. oui et non. En effet, ça ne ressemble à rien de ce qui se faisait auparavant, et encore aujourd’hui, Kind of Blue illumine par son génie. Et pour s’en rendre compte il faut écouter.
5 ou 6 musiciens (cela dépend des pistes) qui jouent ensemble, qui improvisent ensemble, qui produisent un son génial du début à la fin, comme s’ils évoluaient dans une autre dimension, c’est une expérience dont ils, et nous avec, ne peuvent pas ressortir indemnes. Miles Davis déclarera qu’il en frissonnait tellement ce qu’ils faisaient était bon. La beauté du jazz, ce qui me fait en écouter, en voir jouer, c’est l’improvisation, les solos, le fait que rien ne soit vraiment écrit, que ça peut partir n’importe où, n’importe quand et que, comme un chat, le groupe retombe toujours sur pattes, en douceur, sans effort apparent. C’est cet effet que donne Kind of Blue, ce qui le rend si différent de tous les autres albums de jazz, ce qui le rend accessible à n’importe qui tant est que ce n’importe qui ait une paire de cages à miel en bon état.
Ces musiciens osent utiliser des notes que personne n’osait utiliser avant, faire des choses qu’ils ne pouvaient faire en dehors du jazz modal. Ils se rendent compte, en même temps qu’ils jouent, de leur nouvelle liberté d’expression ! Et quand vous donnez cette opportunité à des génies du jazz comme ces types-là, ça donne un album qui vous tord les tripes tellement c’est bon.
Je crois que j’suis encore dans l’hyperbole là. En fait, il y a bien des moments qui ne me plaisent pas dans ce disque, mais je n’ai vraiment pas envie de vous en parler. Beaucoup d’entre vous n’ont sans doute jamais écouté cet album, et je ne veux pas gâcher leur première fois. J’ai écouté ce disque en sachant que c’était un chef-d’oeuvre, sans savoir ce que c’était que ce jazz modal, et j’ai vraiment envie que vous l’appréciez au moins comme moi je l’ai apprécié. Je n’ai même pas trop envie de vous en dire plus, parce que ça irait dans l’hyperbole, que ça placerait cet album encore plus haut, plus inaccessible alors qu’en fait il s’écoute comme on écoute le Canon de Pachelbel, “Blitzrieg Bop”, la 5ème symphonie de Beethoven, comme on regarde Pulp Fiction ou n’importe lequel de vos films préférés, celui que vous pouvez regarder des milliers de fois sans vous en lasser, il s’écoute comme on s’avale comme une demi-douzaine de tartines au Nutella, c’est tout simplement : trop bon.
Et quand on sait qu’il existe d’autres disques qui possèdent des moments comme ceux de ce Kind of Blue, ça donne tout simplement envie de se lécher les babines et d’écouter encore plus de jazz.
Vous pouvez écouter des extraits à cette adresse, ainsi que sur YouTube en vous aidant de la tracklist ci-dessous. Mais le mieux, c’est quand même d’acheter le CD ou le vinyle.
1. So What
2. Freddie Freeloader
3. Blue in Green
4. All Blues
5. Flamenco Sketches
PS : Pour des informations plus techniques sur chacun de ces titres et sur le jazz modal en général, allez faire un tour du côté de Wikipédia ;-)
Combien d’étoiles pour ce disque ?
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