On finit par sérieusement se demander, dans ce pays, jusqu’à quelles extrémités
nous sommes capables d’aller dans l’exploitation médiatique de l’événementiel
dramatique et de l’exaltation populaire qui s’en nourrit.
Faut-il que nous soyons à ce point déprimés et malades de notre société pour
que nous sautions à pieds joints sur le premier héros ou martyr que nos médias
avides de sensationnel nous collent sous le nez à longueur de temps ?
Si tel est le cas, difficile de trouver mieux
que "l’événement Bétancourt" pour surfer sur cette tendance. Tout y est : de
l’international exotique, de l’aventure humaine, une cause patriotique, de la
politique, du drame familial, des services secrets, dieu, la vierge…
Les conditions idéales pour que le déraisonnable et l’outrancier s’expriment à
plein régime, et que la populace se repaisse goulument de cette orgie de
ferveur compassionnelle !
A en croire nos médias, pas un foyer de France et de Navarre ou une larme de
joie n’ait pas coulé à l’annonce de la libération de l’otage Bétancourt …
Des dizaines, voire des milliers d’éditions spéciales qui n’aient jaillies des
rédactions de tout ce qui se lit, s’écoute, se regarde pour relayer l’élan
populaire et la liesse nationale… Des "rassemblements du bonheur" (!...) dans
tout le pays, des affiches géantes, des heures d’interview et de déclarations,
des commentaires politiques en cascade, les grands moyens de l’état, etc,
etc…
Bref, le grand cinéma.
Le Chaffouin, très en
forme, évoque le phénomène bien mieux que moi dans sa note sur le
sujet, en parlant fort justement de tourbillon médiatique.
Pourtant, au milieu de ce tumulte incroyablement disproportionné,
est-il encore possible de rappeler, sans se faire traiter d’ignoble empêcheur
de se réjouir en rond, que Mme Bétancourt a passé 6 ans et 4 mois au fin fond
de la jungle colombienne par la seule faute de son insondable inconscience, et
que c’est au nom de ses aspirations politiques au destinées de la Colombie
qu’elle est allé se jeter dans les griffes d’une bande de crétins marxistes
dégénérés que même les singes ne se risquent pas
d’approcher?!...
Que les colombiens réservent à celle qui s’apprêtait à se dévouer pour leur
pays les manifestations de leur soulagement légitime et saluent comme il se
doit une victoire de leur démocratie sur le terrorisme, peut se comprendre. Que
l’annonce de sa libération prenne là-bas des allures de liesse nationale et en
fasse une icône et un martyr, je veux bien…
Mais qu’ici, sous prétexte d’un passeport franco-colombien, l’hexagone croit
bon de se métamorphoser en "Bétancourtland" et d’ériger le sort de la
colombienne au rang de cause nationale à laquelle nous nous devons d’adhérer
sans condition, voilà qui me semble un peu fort de café... sans mauvais jeu de
mot.
Fi de toutes ces considérations ! Donnons libre cours à la frénésie médiatique
et ne laissons pas passer l’occasion de faire vibrer la fibre patriotique du
citoyen morose en mal de héros. Et veillons à ce que personne n’y échappe sauf
à se couper du monde. Cette fin de semaine en a été l’illustration et les jours
à venir n’y dérogeront pas.
Des jours à venir qui laisse déjà entrevoir le prémices du délire collectif qui
se dessine .
On parle de légion d’honneur, de bénédiction papale, de réception à l'assemblée
nationale, de pelerinage à Lourdes, de prix Nobel de la paix !… On évoque une
pièce de théâtre qui relaterait le calvaire puis le miracle...
Puis viendront inévitablement livres, docu-fictions, films, téléfilms,
teeshirt...
Et tant qu'on y est, pourquoi pas le jeu vidéo sur PS3 et Wii, la serviette de
plage et le mobile aux couleurs d’Ingrid Bétancourt…
Plus sérieusement, il est évident que personne ne contestera que cette
libération est un soulagement tant la prise d’otage est un procédé abject
contre lequel il faut ferrailler sans retenue. Mais est-il pour autant
normal de passer sous silence les errances de certains irresponsables dont les
causes font outrepasser les règles les plus élémentaires de sécurité, et pour
qui il faudra ensuite développer d’incroyables efforts diplomatiques et
militaires pour les sortir des guêpiers inextricables dans lesquels ils se
fourrent ?
Qui osera dire à Mme Bétancourt aujourd’hui qu’en faisant demi-tour, il
y a 6 ans et 4 mois sur cette piste colombienne, conformément aux multiples
conseils de bon sens dispensés par les militaires en poste, elle aurait épargné
à sa famille et à ses proches des années d’angoisse insupportables et des
millions de dollars en tractations et opérations en tous genres
?
Personne, qu’on se rassure.
Ce monde en manque de héros mythiques et mystiques, ou le religieux et le
spirituel reviennent sournoisement fourrer leur nez partout, ne retiendra que
ce visage de madone tombant à genoux et priant la vierge sur le tarmac de cette
douce France qu’elle ne tardera d’ailleurs pas à quitter…
On l’aura compris, ce maxi buzz savamment orchestré par tout ce que ce pays
compte de bien pensants qui se sont fait un plaisir d’en rajouter des tonnes,
aura été aussi inutile que disproportionné.
Quant à ceux qui brandiront l’argument de la double nationalité pour justifier
la surabondante mobilisation de l’état français, il sera toujours temps de leur
rappeler que l’intéressée est née à Bogota d’un père colombien, qu’elle est
leader d’un parti colombien, député et sénatrice colombienne et candidate à la
présidentielle colombienne jusqu‘à son enlèvement.
Alors la France dans cette histoire…
Se réjouir dans la simplicité de ce dénouement heureux, se féliciter humblement
que deux de nos chefs d’état s’y soient impliqué et tirer calmement les leçons
à retenir de ce type de mésaventure, eurent été de sages attitudes.
Nous avons préféré ce brassage d’air ridicule et déplacé.
Soit…
Dommage, car peut-être aurions-nous échappé aux sempiternelles petites
vacheries verbales de notre microcosme politique, et particulièrement des
nouvelles âneries pour demeuré congénital proférées par une Ségolène
Royal qui visiblement ne se lève plus le matin que pour dézinguer du
Sarkozy.
La dame en blanc qui cette année, risque bien de réussir l’exploit d’être plus
caricaturale que sa marionnette des Guignols de l’info.
Le retour de la madone colombienne rendrait-elle ma madone du Poitou irascible
?