En effet, quand on parle de métiers pénibles, difficile de ne pas évoquer ceux du bâtiment qui ne donnent pas leur part aux chiens.
Que nenni.
M.François-Xavier Clédat, PDG de Spie Batignolles, puisque c’est de lui dont il est question, n’a pas dû souvent faire prendre la poussière à ses costards sur les chantiers de ses entreprises de construction pour en arriver, au bout de trois ans de palabres avec les partenaires sociaux, à régurgiter cette conclusion :
"Il n’y a pas de corrélation directe entre l’espérance de vie et la pénibilité "…
Que faut-il en déduire ? Que les rapports scientifiques qui donnent 7 ans d’espérance de vie en moins pour un ouvrier que pour le reste des catégories professionnelles, sont un ramassis d‘inepties ?
Que les décennies de doléances syndicales sur les ravages de certaines carrières destructrices n’ont aucun fondement sérieux ?
Que finalement la question de la pénibilité ne se pose pas ?
Pas de corrélation on vous dit! Ça a le mérite de la clarté…
De deux choses l’une :
Soit M.Clédat est dans la provocation, et là, il patauge dans un mauvais gout qui, au regard de la gravité de l’enjeu, tutoie l’obscénité…
Soit il nous rappelle avec une arrogance consommée que le MEDEF n’a nullement l’intention de laisser "les outils humains" lui jeter au visage les inégalités récurrentes, qui font de certains d’entre eux des retraités cassés à 60 ans, des cancéreux à 63 et des cadavres à 67…
Je crains que cette deuxième éventualité ne soit la bonne, et que malheureusement, cette notion de pénibilité qui aurait du être un élément central de la réforme de nos retraites ne soit à nouveau balayée d’un revers main… patronal.
Il aura fallu que Xavier Bertrand lui-même s’indigne de ses propos outranciers pour que M.Clédat y mette un bémol. Et de livrer une série de propositions "made in MEDEF" issue d’un long travail de réflexion sur le sujet.
Jugez plutôt.
Plus question de départ anticipé pour les plus éreintés car il constituerait un nouveau régime spécial (!). Les patrons français lui préfèrent un "mi-temps pénibilité" dont les conditions d’accès sont les suivantes (accrochez vous à la rampe !) :
- Etre ouvrier ou employé d’exécution.
- Avoir 58 ans révolus et bénéficier d’un avis médical favorable.
- S’être acquitté de 40 ans d’activité, dont 30 ans d’exposition à des facteurs de pénibilité (?) et 10 ans cumulant ces trois critères : travaux très physiques, travaux de nuit et manipulation de produits toxiques.
- Accepter 60% de son dernier salaire, les 40 % restants étant théoriquement (théoriquement !) à la charge de l’état.
- Le tout sous régime de quotas, limités à 10 000 salariés par an, pas un de plus !....
Si Mme Parisot n‘a rien trouvé de mieux que cette espèce de nègrier méprisant et ses fantasmes dictatoriaux pour remplacer M. Gautier Sauvagnac dans ce dossier, qu’elle ne s’étonne pas de l’intransigeance de certains de ses interlocuteurs.
Car la pilule ne passera toute seule. N’en déplaise à M.Clédat, ce ne sont pas ses outrances verbales et ses propositions scandaleuses qui couvriront la réalité de cette injustice insupportable de l’espérance de vie à géométrie variable qui touche le monde du travail.
Comment accepter qu’à notre époque, ceux qui ont eu les carrières les plus déstructurantes physiquement soient condamnés systématiquement à vivre moins longtemps que d’autres moins soumis à l’effort ?
Comment accepter cette double peine qui fait constater aux scientifiques qui ont planché sur le sujet, qu’un ouvrier qui perd déjà 7 ans d’espérance de vie par rapport à un cadre, hérite aussi de 10 ans d’incapacité physique de plus que ce même cadre ?!
Curieuses réactions tout de même, devant la publication de chiffres sensés nous éclairer sur certaines réalités sociales.
Ainsi par exemple, nous offusquerons nous sans retenue pendant quelques semaines sur le récent ré-aménagement des 35 heures et son quota d’heures appliqué aux cadres, en continuant de laisser sans aucune résonnance ces conclusions terribles de l’INED qui sont sur la table des négociateurs sociaux depuis 3 ans et demi, et qui visiblement ne choquent personne.
Encore une fois, l’opposition parlementaire de ce pays, Jean marc Hayrault en tête, a perdu l’occasion d’ouvrir sa grande gueule pour autre chose que la justification des délires fantasmagoriques de M. Royal, son exaspération viscérale de N.Sarkozy ou son interminable caricature du paquet fiscal.
Car s’il était bien une cause pour laquelle un parti d’opposition qui se dit socialiste se devait de se mobiliser, c’était bien celle-ci. Car au moment des bilans, il ne suffira pas de gesticuler frénétiquement en s’indignant de pratiques ultralibérales déshumanisées et de clouer au pilori l’ignoble pouvoir de droite, quand on aura perdu, par le plus achevé des amateurismes, l’occasion d’être un contradicteur responsable et un frein efficace au rouleau compresseur quand celui-ci s’emballe.
Après une bonne cure de contractures musculaires, de migraines à répétition, de gènes respiratoires, de douleurs vertébrales récurrentes, de coupures et coups multiples, de démangeaisons, de problèmes auditifs et autres joyeusetés qu’il est bien loin d’imaginer, je ne donne pas cher de sa morgue et de son "mi-temps pénibilité".
Au moins sera-t-il moins surpris du sentiment de colère de ceux qu’il insulte de son mépris et de sa provocation.