D’abord, une sorte de labyrinthe, certes ouvert et transparent, mais où le parcours est prédéfini, contraint, ordonné, sinueux, long. De module en module, d’écran en écran, la vision se rétrécit, il y a réduction, ciblage, effet de tunnel. Malgré le vertige, la tension, il ne faut surtout pas se retourner, on romprait l’enchantement, tel Orphée aux Enfers. Au bout, une fois sorti de la lumière, une fois hors cadre, l’énigme se résout, tout s’élucide. Il faut monter à demi sur le marchepied, coller son oeil à l’oeilleton et enfin voir, enfin comprendre ce qui jusqu’ici n’était que parcellaire, que diffus, qu’incompréhensible. Comme chez Varini, un seul point de vue crée du sens; partout ailleurs, c’est le chaos. Tout ce vide, tout cet espace à peine occupé par des points de couleur, prend soudain un sens.
Les rondelles de plastique, aux couleurs primaires, jaune, rouge, bleu, et noir, suspendues à des fils allant du sol au plafond sur douze plans successifs, forment, une fois vues depuis le point critique, la représentation pointilliste d’un oeil. L’image est tirée d’une affiche publicitaire (bélinogravée, comme chez Loïc Raguénès ?).
On peut gloser sur le regard, sur l’oeil qui voit un oeil à travers un oeilleton, mais est-ce là le plus intéressant ? Cette installation ne parle-t-elle que d’illusion ? N’est-elle qu’une attraction amusante de fête foraine, merveilleuse et futile ? Le risque en est là.Ce qui, à mes yeux, sauve cette installation de trop de facilité, c’est non point sa solution finale, mais la marche, la quête, l’ascèse du parcours, où le visiteur, avançant à pas lents vers son but, se dépouille peu à peu de toute vaine recherche de sens pour s’emplir de vide coloré. Il faudrait, à la fin du parcours, s’être défait entièrement de toute envie de comprendre, de tout désir de savoir, comme un archer zen qui n’atteint sa cible que parce qu’il ne fait pas d’effort pour l’atteindre.
C’est Champ de Vision, de Damián Ortega à l’Espace 315 du Centre Pompidou, jusqu’au 9 février.
Photos 1 & 3 courtoisie du Centre Pompidou, © Georges Meguerditchian. Photo 2 de l’auteur, avec ses remerciements au gardien stylé qui a bien voulu prendre la pose.