La bête humaine
Un rônin est allongé dans un champ et le vent souffle. Une femme s'approche et lui propose de partager un moment de plaisir. Attiré par cette offre alléchante, l'homme pose son katana à côté de lui et se jette sur elle. Soudain, la femme s’empare du sabre et commence à s'enfuir, tandis que surgissent des hommes qui se ruent sur leur proie. Celle-ci comprend très vite le piège et se lance à la poursuite de la femme qui détient son seul moyen de s'en sortir. Elle lui crie : "Pardonne-moi, ils m'ont payée !". Ayant récupéré son arme, le rônin fauche deux assaillants, puis se met à courir en direction de son cheval. Ses poursuivants lui lancent alors: "Que fais-tu de ton orgueil de samouraï ?", et l’autre de répondre : "Au diable réputation et fierté. Je fuis et ne m'arrêterai jamais !".
L'homme et la bestialité d'une époque
Littéralement "le sabre de la bête", « Kedamono no Ken » est un film superbe et absolument jubilatoire, dans la plus pure tradition chambara. C'est un univers déchiré, désolé et ravagé, magnifiquement mis en en scène par Gosha, qui arrive à imposer une atmosphère absolument saisissante et incroyable à la féodalité barbare. Tous les personnages possèdent une "gueule", avec des vécus chargés et nuancés, déployant des couleurs multiples. Dans le rôle principal, Mikijiro Hira interprète Gennosuke Yuuki, un samouraï indigné, touché et meurtri dans son âme. Témoin d'agissements immoraux allant à l'encontre du Bushido, le mythique code de conduite des samouraïs, il cesse de croire à l'honneur et perçoit jusqu'où va la perfidie humaine. Victime d'un complot habilement orchestré, le héros devient la cible de tout un clan, qui le pourchasse tel un animal. C’est alors que son chemin croise celui de Tanji (Kunie Tanaka), un homme qui deviendra son compagnon de route.
Chaque plan, chaque image permet d'ancrer un peu plus ce climat unique. On se retrouve alors en 1857. Une auberge, une montagne, une rivière, des éléments insignifiants à première vue mais tellement importants, un décor simple et naturel. Tournée en extérieur, l'œuvre de Gosha exploite la nature et nous propose des paysages formidables. Une petite cabane en bois, minuscule et austère, avec un couple à l'intérieur. Une jolie femme aux traits fins, Taka (Shima Iwashita) et un samouraï, Jurata Yamane (Go Kato). L'acteur, alors très jeune, parvient déjà à imprimer sa présence à l'écran, et son maniement du katana dégage une incroyable férocité. Déployant sa bestialité afin de renoncer à la pitié, il exécute tous les visiteurs indésirables. Peu à peu, Gosha nous dévoile les véritables raisons, buts et intentions des protagonistes, et l'intrigue se met en place. Ce n'est plus une simple chasse à l'homme ordinaire, décrite par le narrateur dès l'ouverture du film, mais une toute autre histoire qui se développe. La pauvreté et la famine - omniprésentes - frappent à toutes les portes et les hommes perdent leur identité humaine; ils deviennent des bêtes féroces à l'affût de la moindre faiblesse ou d'une proie facile.
L'or de la montagne ou le sacrifice
Malgré l'édit shogunal interdisant l'exploitation de la rivière dans la montagne, sous peine de mort, certains n'hésitent pas à s'y aventurer pour trouver ce précieux métal jaune qui leur permettra de subsister dans un monde vicieux et cruel. Gosha dénonce les faiblesses d'un système shogunal permettant à peine au peuple de survivre, lui imposant la plus atroce des souffrances: la famine. Système obligeant également certains clans provinciaux à commettre des actes contraires à l'éthique du samouraï, les poussant aux pires ignominies pour survivre. Pour 200 kokus de récompense, Yamane doit protéger l'or jusqu'à l'arrivée des membres de son clan (une somme, puisque la plupart des samouraïs de rang inférieur étaient payés 50 kokus). Se retrouvant gardien d'un trésor que beaucoup convoitent, il doit occire les candidats à la fortune. C'est ainsi qu'il se retrouve face à notre héros, Gennosuke Yuuki.
Les deux hommes dégainent et les sabre font entendre leur son, si unique et si beau. Gennosuke se rend compte que le talent d’escrimeur des adversaires est égal, c’est pourquoi il finit par rengainer avant de s'en aller. Yamane, tout aussi surpris que lui, fait de même et repart de son côté. Les deux hommes ont compris quelle serait l'issue inévitable du duel et ont choisi d'en rester là. Un petit groupe de brigands préfère quant à lui le chantage au combat frontal. Ils kidnappent la femme de Yamane, Taka, et exigent l'or contre sa vie. Gosha filme de près la lutte intérieure silencieuse du samouraï, et Go Kato déploie tout son talent d'acteur pour nous la faire partager à travers son regard. Surpris, au départ, par le chantage, il s'interroge ensuite sur la situation avant de se résigner à sacrifier sa femme. Les trois étapes sont parfaitement visibles et Gosha termine sur un gros plan de l'épouse choquée et des brigands étonnés. "Il préfère garder l'or plutôt que sa femme !" Témoin de la scène, Gennosuke intervient et sabre deux malandrins, libérant ainsi la femme. Celle-ci, complètement anéantie, n'arrive pas à admettre le choix de son mari et décide de rejoindre son sauveur le soir même.
L'éthique du samouraï
Le devoir d'un samouraï était de servir corps et âme le clan pour lequel il exerçait, sans se poser de questions, en exécutant les ordres à la lettre. C'est pour cette raison que Yamane préfère sacrifier sa femme plutôt que son honneur de samouraï, ce qui le conduirait à faillir à sa mission. A l’aide de petits flashbacks, le spectateur découvre aussi davantage la vie de Gennosuke Yuuki, samouraï du clan Enshu Kakegawa devenu rônin pourchassé. Nous réalisons aussi pourquoi il comprend Yamane, et ce qu'il éprouve à son égard, lorsqu'il apprend toute la vérité sur son histoire. Elle lui est familière, et Gennosuke Yuuki décèle rapidement la manipulation sous-jacente ainsi que la fin fatale qui attend ce couple. Trouvant ceci totalement abject et injuste, il oublie l'or et décide de l'aider. A plusieurs reprises, nous avons droit à des chorégraphies magnifiques et de superbes combats enragés ! Gosha n'en est pas avare, comme à son habitude, et les katanas ont le champ libre pour s'exprimer. Réalisé en 1965 par le maître Hideo Gosha, ce ballet bestial, féroce, sensuel et violent, est un must absolu !
Takeshi
Réalisation : Hideo Gosha
Scenario : Hideo Gosha, Eizaburo Shiba
Musique : Toshiaki Tsushima
Interprètes :
Mikijiro Hira - Yuuki Gennosuke
Go Kato - Jurata Yamane
Shima Iwashita - Taka
Toshie Kimura - Misa
Kantaro Suga - Torio Daizaburo
Yoko Mihara - Osen
Kunie Tanaka - Tanji
DVD Film en N/B
Version japonaise - sous-titrée anglais
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