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Focus : la surprise stratÉgique

Par Francois155

Le numéro 10 de la collection Focus stratégique, éditée par le Laboratoire de Recherche sur la Défense de l’IFRI, propose une étude de Corentin Brustlein intitulée « La surprise stratégique. De la notion aux implications ».

J’attire votre attention sur cet excellent travail qui revient avec pertinence sur un sujet crucial, d’ailleurs déjà abordé dans ces pages, tant la surprise, tactique et stratégique, ainsi que les moyens de s’en prémunir et, finalement surtout, de la surmonter, sont au cœur des préoccupations du décideur, politique comme militaire.

La quête de la surprise est d’ailleurs, comme le souligne l’article, « une constante de l’histoire ». Nous pensons parfois redécouvrir seulement aujourd’hui toute la force de cette notion, tant les incertitudes qui pèsent sur notre monde contemporain semblent fortes et potentiellement déstabilisantes. Nicolas Sarkozy, en installant la Commission chargée de rédiger le LBDSN, indiquait d’ailleurs rechercher « une stratégie globale de défense et de sécurité nationale actualisées qui garantisse les intérêts de la nation si une surprise stratégique venait à les menacer ».

En fait, les incertitudes actuelles, même si elles empruntent des chemins supplémentaires, ne sont pas plus fortes que celles qui existaient à l’époque de la Guerre Froide, où la surprise pouvait venir aussi bien de l’emploi des arsenaux nucléaires que d’une agression conventionnelle du Pacte de Varsovie en Europe occidentale. Sur ce second point, la doctrine soviétique insistait en effet lourdement sur l’offensive surprise fondée sur la ruse (la maskirovska) et s’appuyant sur de vastes forces blindées mécanisées.

Corentin Brustlein commence donc par proposer une définition de la surprise stratégique qu’il exprime ainsi :

« (…) Une surprise stratégique peut être entendue comme la situation de choc ou de sidération psychologique et organisationnel(le) résultant d’une action offensive adverse, révélant une impréparation relative de la victime et lui imposant d’ajuster les moyens, voire les objectifs, de sa posture stratégique ».

Prise d’initiative de l’adversaire, donc, qui dévoile ses effets par le manque de préparation de celui qui la subit. Cette définition est intéressante, car elle identifie bien les dommages causés par la surprise sur sa victime (la sidération) tout en indiquant que les conséquences de la surprise sont importantes, mais non obligatoirement décisives.

Voici comment l’auteur précise l’effet de la surprise :

« En surprenant son adversaire, on neutralise de manière temporaire sa capacité à réagir. Pour une durée variable, celui-ci est désarmé au sens où Clausewitz pouvait l’entendre, à savoir qu’il ne dispose plus des moyens intellectuels ou physiques pour essayer d’imposer son plan à l’autre : incapable d’appréhender la réalité de la situation, il ne peut exercer sa volonté. Par la surprise, le fondement même de la stratégie – le mouvement dialectique résultant de la confrontation de deux volontés – est suspendu, réduisant presque l’adversaire à la « masse inerte » évoquée négativement par le théoricien militaire prussien et atténuant une part considérable de la difficulté inhérente à l’action de guerre. »

Mais il ajoute aussitôt :

« Dans la pratique, en revanche, le « désarmement » de l’adversaire n’a qu’exceptionnellement été mené de manière totale et définitive. Dans l’immense majorité des cas, l’effet de surprise a constitué un atout indéniable en servant de « multiplicateur de forces » modifiant temporairement l’équilibre militaire entre deux acteurs, mais n’a pas abouti à une paralysie complète et durable de l’adversaire. Celui-ci tente de se rétablir tandis que son adversaire cherche à confirmer et à exploiter son avantage en démultipliant les sources d’incertitude et en accélérant à nouveau le rythme de déroulement des opérations ».

Ces deux extraits sont particulièrement intéressants : d’une part, ils montrent que la vision théorique (presque idéalisée et, en tout cas, souvent acceptée ainsi par le public) de la surprise stratégique comme garantie absolue du succès est démentie par la pratique. Si le temps stratégique de la victime se trouve comme suspendu par la sidération engendrée par la surprise, il va immédiatement tenter (à moins d’être gravement incompétent…) de se remettre en mouvement, au prix d’un ajustement de ses moyens et/ou de sa posture. Ils soulèvent, d’autre part, des interrogations : Michel Yakovleff, mais au niveau tactique cette fois, insiste sur la « rémanence » de la surprise. La surprise stratégique, d’un même agresseur sur une même victime, peut-elle se répéter, au moyen de plusieurs « coups », ou est-elle unique par essence ? L’effet de sidération peut-il être prolongé par des surprises tactiques ? Le but d’un agresseur compétent n’est-il donc pas de se donner les moyens, dès avant son attaque, de perpétuer la surprise initiale en anticipant le fait que sa victime va s’adapter, et en anticipant même comment elle va le faire ?

On voir déjà, à travers l’exemple de ces quelques questions, que le texte de Brustlein invite le lecteur à penser, une qualité précieuse s’il en est.

Tout en ayant donc indiqué que « le fait que la surprise stratégique ait été fréquemment utilisée mais rarement décisive laisse à penser que les États ne sont jamais totalement démunis face à une menace de cette nature », l’auteur se penche ensuite sur les moyens de se préparer à la surprise. On le sait,l’accent est mis aujourd’hui en France, à travers les orientations prescrites par le LBDSN, sur le renseignement. De manière convaincante et détaillée, l’article revient sur les « insuffisances du renseignement » et l’illusion qui consistent à penser qu’on pourra prévoir toutes les surprises qu’un adversaire intelligent voudra nous faire subir :

« La surprise étant inhérente au domaine conflictuel, la première des nécessités est d’accepter qu’elle survienne, tôt ou tard, malgré la pertinence et l’efficacité des dispositions prises pour s’en protéger. »

Il ne s’agit pas, bien sûr, de s’enfermer passivement dans la fatalité, mais de se préparer de manière adéquate en réduisant les risques et, lorsque la surprise survient, d’en atténuer les effets. Pour la réduction des risques, l’auteur insiste sur l’anticipation-préparation qui passe par trois axes : « le couple alerte précoce-dissuasion, le développement de « l’empathie stratégique » et le renforcement de la prospective ».

Parce que « la surprise surviendra », le texte propose des pistes visant à améliorer la capacité de nos sociétés à l’absorber et à la surmonter. Ceci passe par l’adaptabilité des forces armées ainsi que par la résilience des populations et des pouvoirs publics.

Au final, cet exposé est à la fois instructif et d’une lecture agréable : reposant sur un socle de références solides (en particulier, mais pas seulement, Clausewitz, Beaufre et Gray) qui lui permettent de définir précisément le concept de surprise stratégique, l’auteur développe également un certain nombre de pistes sages pour, sinon s’en prémunir, ce qui est impossible, au moins savoir l’anticiper et la gérer de manière efficace pour que la « sidération » ne soit que minimale et que l’État victime puisse initier immédiatement des mesures efficaces de réponse.

Le lecteur, pour sa part, ne peut s’empêcher de mettre ce texte, et son argumentaire, en rapport avec les orientations choisies par le Livre Blanc, mais aussi avec l’attitude actuelle des décideurs politiques quant aux réalités stratégiques… L’emphase mise sur le renseignement, une dimension nécessaire mais non suffisante, interpelle, en particulier lorsque les capacités de dissuasion conventionnelle apparaissent pour le moins limitées et, ce qui est encore plus gênant, destinées à le rester. De même, il n’est pas certain que tous les efforts soient faits aujourd’hui pour que la résilience intérieure atteigne un niveau satisfaisant.

Bref, l’impression selon laquelle ce Livre Blanc a, sinon manqué sa cible, du moins n’apporte que des réponses incomplètes, grandit encore un peu plus… Mais ce n’est qu’un avis personnel.

En tout état de cause, j’invite sans hésitation mes lecteurs à consulter l’article de Corentin Brustlein, une lecture enrichissante qui ne manquera pas de stimuler utilement leur réflexion :

« LA SURPRISE STRATÉGIQUE. DE LA NOTION AUX IMPLICATIONS ».


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