"Je n'ai pas eu le temps de faire tout ce que je devais mais je ne vous oublie pas. Je m'excuse de ne pas avoir pu répondre à tous vos messages, je verrais demain si je suis plus en forme. Prenez soin de vous. Pensez à allumer vos rêves. Mon amour aide moi à allumer les miens."
Quelques lignes sur son blog et puis Ioana, "l'intrépide capitaine" (www.capitaine-io.com), a tiré sa révérence en cette fin de juillet. Ioana, je ne la connaissais pas personnellement mais j'avais lu au fil des semaines des messages d'internautes me faisant part de ses difficultés. Il y a trois ans Ioanna faisait encore de la planche à voile. Il y a un an et demi, le fauteuil roulant était son compagnon de sport. Et puis, le fauteuil électrique qu'on dirige du bout des doigts, l'aide d'un bon labrador et d'une escade d'auxiliaires de vie se sont avérés indispensables pour maintenir un minimum d'autonomie. La souffrance, la douleur, insupportables, et pourtant au bout de chaque nuit, à la lisière de chaque regard, une lumière indestructible, une envie de partager, de vivre intensément. Malgré une respiration de plus en plus assistée, la cohorte infernale des cris d'un corps martyrisé par une maladie orpheline, elle vivait bien plus fort que beaucoup de vivants, ce qu'on dit "bien portants".
Alors? - Alors ça n'a pas suffit. La vie vous réserve parfois un sort particulier: son ami valide qui l'aidait au quotidien meurt dans un accident. Ioana se débat pour survivre, pour trouver des auxiliaires de vie, des aides financières, un nouveau logement enfin adapté. Manque de chance, sa maladie orpheline n'est pas reconnue par la Sécurité Sociale, la Maison de l'handicap lambine car rien n'est prévu pour traiter de telle situation d'urgence. On se mobilise pour l'aider et un grand réseau de solidarité la soutient au quotidien. Et malgré tout, elle trouve la force de répondre à chacun, de souhaiter l'anniversaire à une amie, de dialoguer par webcam.
Sur la photo, elle est épanouie. Elle n'a pas trente ans. Elle ressemble à une Madone, à une petite soeur. Je pense en la voyant à Christiane Singer qui, dans son dernier livre "Derniers fragments d'un long voyage", raconte jour après jour sa lente approche du Grand Passage, les ravages quotidiens d'un cancer qui vous tenaille et vous emporte. Et pourtant quelle force dans ce visage amaigri, quelle ténacité face aux facéties d'un corps qui vous trahit:
"...Nuit de détresse et d'insondable profondeur. Rien n'agit. Sinon la conscience que tout a une fin. Le point qu'atteint le vieux Salomon dans l'Ecclésiaste, oui je le touche. "Il enviait les morts déjà morts." Aucune phrase de l'Ancien Testament ne m'apparaît plus terrible. Et tout aussitôt, marchant main dans la main, la conscience folle que j'aime, que j'aime, que jamais l'amour n'a coulé de moi et en moi à pareils flots".
Pour Ioana, je pense que certains êtres particulièrement marqués par l'adversité sont de véritables guides pour nous qui ne sommes pas constamment dans la souffrance, dans le carcan de l'handicap et de la maladie. Chez Ioana, il y a sûrement un Bouddha qui sommeille, un Bodhisattva qui continue par delà le miroir d'aider les autres. Elle est simplement parti en éclaireur et elle nous attend avec la lumineuse intensité de son regard et de son corps de lumière. Libérée, désentravée, enfin dans la paix.
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Bibliographie : Christiane Singer Derniers fragments d'un long voyage - Albin Michel