Figure tutélaire et protéiforme de la musique pop, Scott Walker, né Noel Scott Engel dans l'Ohio en 1943, orne de sa grâce toute panoplie référentielle de rock critic. J'en suis convaincu, voilà encore un artiste plus souvent glosé qu'écouté ! Mais au-delà de sa réduction en accessoire érudite, l'Américain fut, et demeure, un des chanteurs les plus émouvants du 20e siècle. Un crooner à la voix suave et pénétrante, un homme insaisissable au souffle sans fin, modèle proclamé de David Bowie, The Last Shadow Puppets et bien d'autres. En 1969, Scott Walker sortait Scott 4, son cinquième album solo et premier disque intégralement écrit par ses soins. Egalement un de ses plus cuisants échecs. A cette occasion, il abandonnait ses habituelles reprises (de Jacques Brel notamment) et composait dix titres somptueux, plantant ainsi définitivement son étendard dans la grande Histoire de la chanson pop.
Avant d'endosser les habits du songwriter mystérieux et marginal, en raison notamment de ses sorties espacées et erratiques depuis la fin des années 70, Scott Walker fut à l'origine une vraie idole pop, beau gosse bêlant adulé des jeunes filles en fleurs. Ce furent les heures des Walker Brothers (avec John Maus et Gary Leeds), trio de faux-frères qui splittera, se rabibochera puis resplittera et fera la prime renommée du chanteur. Les trois garçons sévissent alors en Angleterre, loin de leur terre natale, et trustent les premières places des charts britanniques avec leurs balades pop. La triplette, à l'image des Beach Boys ou des Beatles, s'inspire des orchestrations de Phil Spector et de son fameux “Wall of sound” pour l'instrumentation de ses titres. Bien plus tard, Scott Walker ira même jusqu'à revendiquer la paternité de ce mur de son symphonique qui fut la griffe du célèbre producteur new-yorkais. Bref, à l'époque, entre 1965 et 1967, grâce à sa formation, Walker est devenu une véritable petite star, aussi fameux pour sa beauté que pour sa musique.
L'aventure du groupe tourne court et, après trois disques, son leader embrasse une carrière solo. Scott (1967), Scott 2 (1968), Scott 3 (1969) sont produits en rafales et rencontrent une nouvelle fois un large succès auprès du public britannique. Le chanteur n'est pas avare en sorties mais fuit progressivement micros, scènes et caméras. Les mélodies pop sont toujours là mais ses compositions s'obscurcissent. L'Américain reprend de nombreux titres de Jacques Brel (“Mathilde”, “Ma mort” entre autres) et expose davantage sa fibre mélancolique. Scott 4 débarque dans les bacs fin 1969, sous le nom de Noel Scott Engel. L'album est une merveille, certainement le plus abouti de cette période, mais un échec commercial cuisant.
Dès les premiers mesures de “The Seventh seal”, le premier titre du disque, la messe est pourtant presque déjà dite. Le charme est instantané. Une guitare hispanisante et une trompette sonne l'alerte dans une ambiance digne d'un western, déjà annonciatrice des productions futures de Scott Walker. La voix du chanteur est altière et héroïque. Elle s'en prend aux tripes et les empoigne. Et nous fait sentir héros. Les orchestrations symphoniques participent de cet effet par leur richesse et leur flatteuse douceur. On touche presque ici au sacré, au divin, au supérieur. Walker éblouit à chaque seconde par sa prestance, sa maîtrise et son nerf ardent. Son chant habité, animé d'une sorte de vibration soul blanche, pénètre et élève. Voilà peut-être le don qu'il a acquis lorsqu'il étudia pendant un an les chants grégoriens dans un monastère des Iles de Wight. Les balades pop canoniques, “Angels of ashes” et ses délicats arpèges de guitare, cotoient dans le disque les titres plus enlevés comme “Hero of the war”. L'ensemble est baigné d'une lumière providentielle, Scott Walker est définitivement une légende.
En bref : Un momument de musique pop, héroïque et animé d'une sorte de soul blanche mélancolique. Tout simplement une bénédiction. Et un Dieu : Scott Walker.
"The seventh seal" :
"The old man's back again" :
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