Le rapport Kaspi du nom d’André Kaspi, historien de son état, a provoqué,
avant même sa publication, une belle unanimité…contre lui. Il faut dire qu’il a
osé s’attaquer à une des nombreuses vaches sacrées de notre beau pays, les
commémorations nationales…sacrilège !
Pourtant, fondamentalement, je suis assez d’accord avec les conclusions de
ce rapport :
Il y a trop de commémorations nationales en France et leur forme n’est pas
satisfaisante.
Néanmoins, la manière qu’a la Commission de justifier cette conclusion ne me
paraît ni la plus habile ni la plus pertinente et il n’est guère étonnant que
telle qu’elle a été formulée, elle ait soulevé autant de levées de
boucliers.
Que dit ce rapport en résumé :
Qu’il y a trop de commémorations nationales en France (12) notamment depuis
1999 puisque depuis cette date, leur nombre a été multiplié par 2 par la grâce
de Jacques Chirac particulièrement prolixe en la matière.
La commission justifie cette position de la manière suivante :
« Il n'est pas admissible que la nation cède aux intérêts communautaires
et que l'on multiplie les journées de repentance au risque d'affaiblir la
conscience nationale ».
Que partant de ce constat, la commission suggère de ramener le nombre de
commémorations nationales à trois : le 11 novembre pour commémorer les
morts du passé et du présent, le 8 mai pour rappeler la victoire sur le nazisme
et la barbarie et le 14 juillet qui exalte les valeurs de la Révolution
française.
Les autres commémorations n’étant pas supprimées en tant que telles mais
dé-nationalisées pour être ramenées à un niveau local voire privé.
Enfin, dernier élément trop souvent laissé de coté, le rapport appelle à
« inventer de nouvelles formes de commémoration »
Ce rapport et les réactions qui ont suivies m’amènent aux quelques
réflexions suivantes :
Le fait de dire qu’il y a trop ou pas trop de commémorations doit être
considéré en fonction du sens que l’on souhaite donner à chacune d’entre elle
et de ce que l’on en fait.
Donner un sens suppose de définir l'objectif que l'on cherche à atteindre.
Ensuite, si le constat est fait qu’il y a des redondances entre les
commémorations par rapport au message qu’elles ont destinées à faire passer,
pourquoi ne pas en regrouper plusieurs sous la même « thème ».
Ce que l’on en fait est également important, une journée de commémoration
nationale n’a d’intérêt que si elle permet de répondre à l’objectif qu’on lui a
fixé. Si elle n’est perçue que comme un perpétuel retour vers un passé dont on
ne tire pas les leçons ou comme une séance annuelle d’auto-flagellation
nationale, elle ne sert à rien et pourrait même être
contre-productive.
Cette méthode aurait le mérite d’éviter de hiérarchiser ou d’avoir à faire
des choix entre les évènements commémorables et ceux qui ne le sont pas, en les
réunissant derrière un même message. De plus, elle permettrait de mettre en
avant, non pas un évènement « historique », mais une idée forte.
Enfin, en en réduisant le nombre et en leur attribuant un sens clair et sous
réserve qu’on leur donne une véritable signification pédagogique, ces occasions
de mémoire et de réflexion collective seront plus efficaces.
Sur la base de ces considérations, Je définirais 3 grandes catégories de
commémorations:
Il y a les commémorations destinées à rendre hommage aux « morts pour
la France » :
• Aux "morts pour la France" de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et
de la Tunisie (5 décembre),
• Aux « morts pour la France » en Indochine (8 juin),
• Aux « morts pour la France » lors de la guerre de 14-18 (11
novembre)
Il y a les commémorations destinées au souvenir lui-même destiné au
« plus jamais ça » qui concernent des évènements suffisamment graves
avec :
• La commémoration de l'abolition de l'esclavage (10 mai),
• La journée de la déportation (fin Avril)
• La commémoration de la capitulation de l’Allemagne nazie (8 mai)
Enfin il y a les commémorations destinées à honorer un groupe d’hommes, un
homme ou une femme en tant que symboles d’une lutte pour la France :
• L’hommage aux Harkis (25 septembre)
• L’hommage aux Justes de France (16 juillet)
• L’hommage à Jean Moulin (17 juin)
• La fête nationale de Jeanne d’Arc (2éme dimanche de Mai)
• L’appel du 18 juin du Général de Gaulles (18 juin)
Et puis un peu à part, on trouve le 14 juillet, Fête nationale, symbole de
la révolution française qui bénéficie d’un statut particulier sur lequel je
n'épiloguerai pas.
Si on reprend ces 3 premières catégories que peut-on en dire :
Que les commémorations entrant dans la catégorie « Morts pour la
France » pourraient effectivement être réunies sous une même bannière, le
11 novembre par exemple. Honorer ensemble, ceux qui sont morts au nom de la
nation au cours d’une guerre menée par le pays quelle qu’elle soit,
« bonne » ou « mauvaise » pour peu que l’on puisse faire la
distinction, parait logique. Surtout si on considère que ce n’est pas une
guerre en particulier dont on veut rappeler les atrocités, les drames et les
malheurs mais le fait que c’est le lot de toutes les guerres.
Et puis pourquoi ne remonter qu’à l’Indochine et ne pas commémorer les morts
de la guerre de 1870 ou celles provoquées par les guerres napoléoniennes.
Pourquoi ne pas commémorer également les soldats français morts en Afghanistan,
au Kosovo ou en Afrique …à partir de combien de morts a-t-on le droit à une
journée de commémoration nationale ?
La deuxième catégorie est fondamentalement différente.
L’esclavage, la déportation et le nazisme ont ceci en commun, outre leur
caractère abject, qu’ils répondent à la définition de « crimes contre
l’humanité » telle qu’elle a pu être énoncée par le tribunal de Nuremberg
qui le défini comme étant « l’assassinat , l’extermination, la réduction
en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes
populations civiles, avant ou après la guerre… ».
En cela ces tragédies ne doivent pas être oubliées ou même diluées au milieu
des nombreuses atrocités qui ont parsemées l’histoire de l’humanité.
Elles doivent être commémorées pour se souvenir des faits et des
circonstances qui ont provoqué ces évènements mais surtout pour témoigner des
horreurs dont l’Homme est collectivement capable si il ne prend pas garde,
individuellement, à ne pas se laisser aller à la haine, le racisme,
l’antisémitisme ou l’intolérance.
Elles doivent être considérées comme des alertes, des incitations à la
vigilance d’autant plus nécessaires quelles s’adressent à des gens pour
lesquels ces évènements font partie d’une histoire qu’ils considèrent de moins
en moins comme la leur et dont ils se désolidarisent d’autant plus facilement
qu’ils sont persuadés qu’avec eux tout cela ne se serait jamais
produit !
Or, force est de constater que ces commémorations sont trop souvent perçues
comme des réunions de vieux nostalgiques ou pour la commémoration de
l’abolition de l’esclavage, comme un moment de repentance collectif au cours
duquel la Nation toute entière s’auto-flagelle en psalmodiant « c’est ma
faute, c’est ma très grande faute, pardonnez nous » !
Y a-t-il tous les 10 mai un vaste débat, une explication de texte sur le
sujet de l’esclavage ? non !
Que ce soit le 8 ou le 10 mai et même la journée de la déportation, ces
journées sont trop tournées vers le passé, vers l’aspect « commémoratif »,
qui en amènent beaucoup à s’en désintéresser prétextant que le passé c’est le
passé et qu’il ne sert à rien de le ressasser en boucle.
Pour autant, la solution n’est pas de supprimer ni la commémoration de la
déportation ni celle de l’esclavage qui correspondent à des causes différentes
et suffisamment graves et exceptionnelles pour mériter qu’une journée leur soit
dédiée. Mais sortons de l’idée de pure commémoration pour en faire de vraies
journées pédagogiques tournées vers le présent et le futur.
Simone Veil dans un discours en 2006 rappelle très bien pourquoi il est
nécessaire de rester en permanence vigilant afin que de telles horreurs ne se
répètent pas et pourquoi ces évènements restent encore d’actualité :
« … nous connaissons aujourd’hui les méfaits engendrés par les idéologies
qui ont semé la désolation au siècle passé. Il faut du courage, je le sais
bien, pour renverser les affabulations sur lesquelles se construisent les
idéologies de haine. Mais, prenons garde, elles se répandent d’autant plus
facilement qu'elles se passent de la vérité, qu'elles opèrent des
simplifications afin de s'adresser à tous.
Aujourd’hui, il convient de mettre à bas toutes ces idéologies qui sont
nourries de la haine de l’autre. Les nouvelles générations sont aussi
vulnérables que celles du passé ; nous les avions crues immunisées par les
leçons de leurs aînés et les leçons de l’histoire. En réalité, à chaque époque,
de nouvelles sirènes endorment les consciences et attirent vers elles les
esprits les plus désorientés et malheureux. »
Ces 2 journées ont tout leur sens dans notre époque ou le racisme et
l’antisémitisme sont bien vivaces et l’esclavage, sous des formes diverses,
sévit encore un peu partout dans le monde (même en France).
Ces commémorations doivent participer à cette action de vigilance, en cela
elles sont importantes voire indispensables mais probablement pas sous leur
forme actuelle et en cela la Commission Kaspi a raison.
Quand au 8 mai, je serais assez tenté de le répartir à la fois sur la
journée dédiée « aux morts à la guerre » et de l’amalgamer avec la
journée de la déportation car, me semble t-il, le nazisme et la déportation des
Juifs, des Tsiganes, des homosexuels etc sont si étroitement liés qu’ils ne
peuvent se considérer qu’ensemble.
Enfin, il y a la troisième catégorie, un peu hétérogène, je le reconnais,
mais qui regroupe néanmoins des individus ou des groupes d’individus vis-à-vis
desquels la France a voulu marquer sa reconnaissance considérant que par leur
comportements, leurs actions, leurs propos courageux, ils ont honoré la France
toute entière.
Je ne vais pas remettre en cause les mérites respectifs de Jean moulin, du
général de Gaulles, des Harkis ni même de Jeanne d’Arc et certainement pas
celui des Justes, mais néanmoins toutes ces célébrations font un peu liste à la
Prévert. Derrière la personne ou le groupe de personnes, il faut chercher le
symbole. Jean Moulin, l’appel du 18 juin du Général de Gaulles et Jeanne d’Arc
et d’une certaine manière, les Justes également, symbolisent la résistance à
l’envahisseur.
Pourquoi ne pas faire une journée de la Résistance au sens large au sein de
laquelle seraient honorées toutes ces formes de résistance : celles des
Résistants, des Justes mais également de tous ceux qui sans avoir un statut
officiel ont résisté, à leur manière, au nazisme ou au totalitarisme sous
toutes ses formes.
Quand à l’hommage aux Harkis, sans en contester la nécessité, il me semble
qu’il ne se prête pas à une telle commémoration. La meilleure preuve étant
qu’elle passe tout à fait inaperçue auprès de la population et que la plupart
des politiques y sont indifférents.
De plus cette commémoration constitue l’archétype même de ce que la commission
a en tête lorsqu’elle parle « d’intérêts communautaires » et de
« journées de repentance ».
Cette journée semble avoir été accordée par jacques Chirac en 2001 sur la
base de motivations politiques et par soucis d’essayer de se débarrasser à peu
de frais de la mauvaise conscience toute naturelle que la France devrait avoir
à l’égard des ces français qu’elle a honteusement laissé tomber.
En conclusion, parmi les 11 journées de « commémoration nationale », je
n’en retiendrai que 4 partant du principe que ce qui compte derrière une
commémoration c’est le symbole :
• Une date pour honorer les « morts au combat » (le 11 novembre)
et par delà pour ne jamais oublier qu’une guerre est toujours une horreur
• La « journée de la déportation » pour tout ce qu’elle révèle sur ce
dont est capable la nature humaine lorsqu’elle se laisse aller à ses plus bas
instincts et pour ne pas faire la part belle aux mensonges immondes de ces
faussaires de l’histoire que sont les révisionnistes.
• La commémoration de l’abolition de l’esclavage, pour les mêmes raisons.
• Et une journée de « la résistance » au cours de laquelle seraient
rappelées toutes les formes qu’elle a pris dans l’histoire et toutes celles
qu’elle peut continuer à prendre.