« J’ai pas dit “sauve-moi” !, proteste le type de la station-service dans la première scène du film Une nuit en enfer.
– On s’en fout, puisque tu vas crever dans moins de cinq minutes ! », rétorque le frère aîné des psychopathes qui le tiennent en joue. Ou quelque chose de cet ordre si ma mémoire est bonne. Je revois le pompiste avoir une conversation ordinaire juste avant avec un policier sans lui donner une seule fois l’alerte de peur des représailles. Que ceux qui ont subi des représailles au moins une fois soient les seuls à me juger.
Obama a gagné : les rues les artères et les bretelles bruissent, mugissent et supportent la foulée des manifestants en liesse. Des canettes de bière circulent de main en main et chez les plus jeunes les boîtes de cola dissimulent de la vodka. Le pompiste a fini par brûler dans sa guitoune et les frères cinglés ont pris la fuite.
Les promeneurs, les badauds et les familles exultent dans mes oreilles, ainsi probablement que ma tante, mes oncles et ma cousine chacun dans ses pénates. Les dernières nouvelles leur parviennent d’Outre-atlantique. J’aurais du y vivre, peut-être auraient-ils su ?
Je peux danser en boîte jusqu’à six heures du matin, puis mimer le départ au travail en faisant des aller et retour d’un terminus à l’autre du métro, lire dans une bibliothèque de quartier sauf le dimanche et le lundi et attendre l’ouverture de la piscine municipale et prendre une douche et enfin dormir sur sa pelouse tondue à ras.
Après les quatre-vingts euros que j’ai en poche, je n’aurai plus rien à manger ni de projet d’avenir. Je serai propre et reposée avec de la musique dans les oreilles et des livres dans les mains, puis sans doute les halls d’entrée me verront couchée et je n’aurai plus la force de lire ni me savonner. Obama a gagné, certains blancs et tous les noirs sont en joie mais moi je vais crever. Maman je n’ai pas dit “sauve-moi” alors pourquoi m’as-tu quand même fait ça ?
Cet après-midi je suis repérée. Les files lambinent en riant devant les kiosques à journaux et un quinquagénaire à la chemise mal bordée dans son jean traverse, s’approche et me promet de l’argent si je suis gentille. « Plus tard, cette petite fera de grandes études » avait prédit mon grand-père. Il peut se faire lanlaire aurait dit Barbara. Lui, et le vieux que je viens de cogner. Elle a vu l’or et la pluie, moi j’ai des nuages menaçants au-dessus de la tête.