Le barreau de Paris se met à nu au Stringfellows

Publié le 14 novembre 2008 par Ttiger

Strip-tease, massages, gardien de plage, boîtes de nuit… Les notes de frais de la conférence de stage du barreau Paris sont passées au peigne fin par un juge, qui soupçonne un abus de confiance.

L’affaire n’a pas émoustillé les confrères. Seule une dépêche de l’Associated Press, l’agence américaine, en a fait écho, le 29 février 2008, dépêche reprise en chœur et dans la discrétion par le fil d’infos du figaro.fr ou du nouvelobs.com.

Pourtant la nouvelle a de beaux atours. Une information judiciaire pour abus de confiance et recel d’abus de confiance, menée contre X par une juge d’instruction du parquet de Paris et visant rien de moins que l’ordre des avocats de Paris…
De la bonne tenue du barreau de Paris

Ou plus précisément, la promotion 2005 de la conférence du stage du barreau de Paris. Une pépinière de 12 jeunes membres du barreau parisien, choisie après un concours d’éloquence, chaque année. Sans identité juridique propre, la conférence du stage a toutefois la lourde mission de « représenter le jeune barreau parisien tant en France qu’à l’étranger », voire contribuer « ainsi pleinement à l’ouverture et au renom du Barreau de Paris, par sa présence lors de rencontres nationales et internationales, comme par les manifestations qu’elle organise à Paris. » Rien de moins. Et rien de gratuit.

Ainsi, chaque année, une enveloppe de 150.000 euros est prestement attribuée à cette noble mission et ses 12 secrétaires par l’ordre des avocats de Paris, sur le budget propre du barreau. En fait issue des cotisations de tous les adhérents… A utiliser avec soin.

Traditionnellement, les frais couvrent de menus voyages de « délibération » à travers le monde des « secrétaires » pour songer à leur successeur de l’année suivante ; ou des déplacements à travers la planète pour les séances d’ouverture des « grands barreaux de ce monde ».
Massages, gardien de plage et boîtes de nuit offertes

En 2007 les délibérations se tinrent en trois lieux propices à la réflexion, Barcelone, Lisbonne et Rio de Janeiro. Un an auparavant, Heraklion, Marrakech et Reykjavik ont été nécessaires pour « échapper à la pression des candidats et délibérer sereinement ». Plus exotique, pour la promotion 2005, visée par l’enquête de la juge Dutartre, Ibiza, New York, Buenos Aires puis Bariloche, en Patagonie, permirent des débats apaisés.
Les précisions de Me Duval Stalla

Sur les frais de la conférence du Stage :

1. Le budget alloué est de 180.000 euros depuis 2004. Ce budget a été approuvé, ainsi que son dépassement par le Conseil de l’Ordre des avocats de Paris. L’objet et la nature des dépenses de ce budget sont décidés, approuvés et votés par le Conseil de l’Ordre. Elles sont les mêmes depuis plusieurs décennies. Il a été dépassé de 70.000,32 euros. Les dépassements de budget de la Conférence sont constatés régulièrement chaque année.

Ce dépassement a concerné (i) les délibérations du premier tour, dont le budget a été dépassé de 50% en raison de dépenses non prévues au départ dans le budget initial proposé par l’agence de voyage, (ii) le déplacement au Canada pour les rentrées du Québec et de Montréal, dont le budget n’avait pas été suffisamment pris en compte à l’avance en raison de la concomitance de multiples activités que j’avais alors à gérer, et enfin (iii) le bal de la Conférence, dont le budget a enregistré un surcoût en raison d’un changement de dernière minute de sa date, indépendant de ma volonté.

Le dépassement a été intégralement remboursé.

2. Les dépenses liées à la représentation du barreau à l’étranger comprennent notamment les frais de voyage, d’hébergement et de restauration des secrétaires. Concernant les frais de room service que vous évoquez concernant le déplacement pour la réunion annuelle de l’American Bar Association et dont je n’ai pas le montant en mémoire, une vérification serait nécessaire. Il doit s’agir des frais de restauration au sein de l’hôtel pour 4 secrétaires pendant près d’une semaine. Contrairement à des rumeurs tenaces et malveillantes, il n’y a eu ni frais de stripteaseuses, ni massage réglés sur le budget de la Conférence.

3. Concernant le bal de la Conférence, le budget a été de l’ordre de 70.000 euros. Ce bal est organisé chaque année au moment de la rentrée solennelle du Barreau de Paris, ainsi que le bal du bâtonnier, dont le budget global avec la Rentrée est de près d’un million d’euros.

Le bal de la Conférence réunit généralement environ 400 personnes chaque année. Concernant le nombre de 300 bouteilles de champagne, une vérification s’impose. De mémoire, le ratio retenu était d’une bouteille pour quatre personnes, soit environ 75 bouteilles pour 300 personnes.

4. Le traiteur tourangeau était le même pour mon mariage en septembre 2005 et pour le Bal de la Conférence en novembre 2005 en raison des prix compétitifs pratiqués par rapport aux traiteurs parisiens. Le traiteur n’a pas consenti de « ristourne » particulière. Il a simplement accordé pour les deux évènements des gestes commerciaux habituels en la matière pour des manifestations de 250 à 300 personnes.

Par ailleurs, sans pour le moment revenir sur votre article, deux précisions s’imposent concernant deux amalgames que vous mentionnez : un paiement au Palais de la Méditerranée à Nice. Ni la Conférence du stage, ni moi-même ne nous sommes rendus en 2005 à Nice. Il doit s’agir d’une autre dépense effectuée par une autre personne de l’Ordre non liée aux membres de la Conférence dans la mesure où le compte bancaire de l’Ordre ne sert pas uniquement au budget de la Conférence. Il en est de même d’un retrait de 10.000 euros en espèce en date du 27 octobre 2005, qui ni moi ni des membres de ma conférence n’ont fait et d’ailleurs n’auraient pu faire sans le contrôle de la commission des finances. Il s’agit d’une autre personne.

Sur l’instruction de Mme. le Juge DUTARTRE :

1. Je n’ai aucune information relativement à cette instruction, à l’exception des rumeurs du Palais. Je sais simplement que cette instruction a été ouverte suite à la plainte déposée par un syndicat en réaction à mon assignation en diffamation contre ce dernier. A ce jour, je n’ai pas rencontré Mme. le Juge DUTARTRE.

2. Quant à l’implication de l’Ordre, vous comprendrez que n’ayant pas accès au dossier de cette instruction, je n’ai pas d’avis sur le sujet.

Pour votre parfaite information, je vous prie de noter les éléments suivants : − Les activités et les dépenses de la Conférence sont chaque année les mêmes depuis plusieurs décennies. − De même, le budget de la Conférence fait l’objet d’une présentation chaque année à la Commission des finances qui détaille les activités et les dépenses de la Conférence (organisation du Concours et des conférences Berryer et des dîners y afférents, les voyages de délibérations, les missions de représentation en France et à l’étranger, les frais de réception et le Bal de la rentrée du Barreau de Paris). − Ce budget est discuté et voté en conseil de l’Ordre. − Le contrôle et le règlement des dépenses de ce budget sont effectués par les services financiers de l’Ordre sous le contrôle du Président de la Commission des finances et du Bâtonnier. − Le budget de la Conférence 2005 (250.000 euros) a représenté moins de 0,5% des recettes de l’Ordre (52.524.795 euros). − A titre de comparaison, le budget de la Conférence (180.000 euros) ne représente que la moitié du seul budget « voyage » du Bâtonnier qui est d’environ 350.000 euros ou 12 fois moins que le dépassement de budget de l’opération Campus 2008 (plus de 2 millions d’euros). − Le douzième secrétaire, de par son numéro, est chargé d’effectuer les dépenses ce budget, décidé et voté par le Conseil de l’Ordre, et ce sous le contrôle de la commission des finances.

Il est également nécessaire de rappeler que la Conférence du Stage, c’est : − 365 permanences par an au Palais de Justice de Paris pour assurer la défense des plus démunis à l’encontre desquels il existe des indices graves et concordants rendant vraisemblable qu’ils aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à une infraction pouvant recevoir une qualification criminelle, − plus de 260 permanences par an au Pôle Financier, − autant de procédures d’instruction criminelle, − plus d’une quinzaine de procès d’Assises chaque année dont les Secrétaires de la Conférence sont saisis quelques jours seulement avant le début du procès (les Assises Express), et − plus de 400 permanences à la 23ème Chambre Correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris pour assurer une défense d’urgence des justiciables les plus démunis.

Pour information, pour l’année 2005, les 12 secrétaires de la Conférence ont traité environ 800 dossiers en matière criminelle ou financières, dont 650 mises en examen. Cela représente environ 35 heures effectives par mois par secrétaire de permanence au Palais ou au pôle financier, sans compter que chaque dossier représente au minimum une cinquantaine d’heures de travail effectif par secrétaire.

Derrière les attaques récurrentes contre la Conférence du Stage, se joue en réalité la récupération de ses dossiers tant convoités en matière criminelle. Or, le fonctionnement et le mode d’élection de la Conférence est la meilleure garantie pour donner chaque année leur chance à douze jeunes avocats sans barrière financière, de naissance ou sociale et de se prémunir ainsi contre toute rente de situation ou favoritisme.

Fort attachés à leur sainte et grande mission, les secrétaires, au premier rang desquels le 12e secrétaire, Me Alexandre Duval Stalla à l’époque, qui fait office de trésorier, n’ont pas lésiné sur la dépense pour leur bien-être. Et une représentation honorable des avocats de la ville-lumière.

Dans la tranquille cité d’Ibiza, repère de jet-setteurs invétérés, les jeunes ténors ont dû se fondre dans la culture locale en juillet 2005. Langouste au restaurant, multiples frais de bar, facture de boîte de nuit, le Pacha Club, à hauteur de 2000 euros en une soirée. Et après tant de stress, facturation de séances de massage à l’ordre des avocats. « Mens sane in corpore sano ».
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Le barreau au strip-tease
© Oliv’

Pour la rentrée du barreau américain, organisée en 2005 à Miami, 1000 dollars de room-services suffirent à asseoir une bonne représentation du barreau parisien par ses jeunes éléments, agrémentés de notes de boîtes de nuits ou de « ward beach », littéralement gardien de plage…

Quant au bon accueil des confrères étrangers, la conférence du stage 2005 a également su y faire. Une soirée reste dans toutes les mémoires, la folle nuit du 18 avril 2005.

L’hiver touchait à sa fin, la journée chargée d’une séance avec les secrétaires de la conférence de Bruxelles, en présence de Jacques Séguéla, a dû être harassante. Pour se remettre et tisser des liens, rien de tel qu’une soirée chaleureuse. Une chance, Paris compte pléthore d’endroits douillets où se reposer d’une ardue journée de labeur. Fins connaisseurs, la conférence opte pour le String Fellows et ses « 30 à 40 stripteaseuses ». Le repos de l’âme pour seulement deux dépenses de 525 et 1270 euros. Pas cher payé.

Et Me Duval Stalla, le trésorier de la belle promo 2005, s’avère tout sauf un ingrat. Le 21 novembre, une belle sauterie à l’Opéra comique, a accueilli près de trois cents convives. Anciens secrétaires de la conférence du stage, jeunes ténors des barreaux européens etc…rincés à l’œil. Près de 300 invités pour 150 bouteilles de champagne, 156 bouteilles de vin, 300 mignonnettes d’Armagnac et une « douloureuse » de seulement 50 667 euros…

Las, au pays des robes noires subsistent aussi des esprits chagrins qui s’indignent de telles dépenses. Dont les vilains petits canards du syndicat des avocats libre, le Cosal. Pour avoir raillé la générosité de Me Duval Stalla sur son site internet, le syndicat s’est vu assigner en diffamation. Et a rétorqué avec une plainte, assortie d’une constitution de partie civile en juin 2007. Qui a débouché sur l’ouverture de l’information judiciaire en fin d’année dernière.

Et une polie omerta au sein du barreau. Bien ennuyé par ce legs de son prédécesseur Yves Repiquet, le nouveau bâtonnier de Paris, Christian Charrière-Bournazel, ne sait trop comment se dépêtrer de ce dossier. L’ombre d’une mise en examen de l’ordre plane quelque peu pour complicité d’abus de confiance. La juge Dutartre, bien aimablement, s’est entretenu au cours de l’été de l’épineuse affaire avec le chef de file des avocats parisiens. Et a notamment pointé que la commission des finances de l’ordre n’a jamais sévi contre ces étranges dépenses. Pire, certains grincements de dents des comptables, noté par des courriers internes, n’ont pas été pris en compte. Toutes les factures ont été réglées, sans sourciller. De là à faire de l’ordre un complice d’abus de confiance, il y a un pas…Ou plutôt une mise en examen qui constituerait une tâche sur la noire robe de l’ordre des avocats.
Le bâtonnier gaffeur et les 10 000 euros en liquide

Sans doute en vue d’éviter un tel désagrément, le bâtonnier a cru bon de transmettre de bonne grâce nombre des relevés bancaires de l’ordre, daté de 2005. Une jolie gaffe.

Examinées de près et une fois les folkloriques dépenses des secrétaires de la conférence du stage évacuées- les factures du Stringfellows « correspondant, m’a-t-il été expliqué aux consommations », explique ingénu le bâtonnier-, d’étrange lignes comptables apparaissent. Par exemple deux paiements avec la carte bleue de l’ordre au Palais de la Méditerranée, un casino niçois. Ou encore cet étrange retrait de 10 000 euros en espèce, effectué le 27 octobre 2005. Sous la robe du barreau, les gogos ne sont pas que danseuses…

Ces petits désordres devraient animer le si feutré monde des avocats, quand se profilent pour le 9 décembre les élections à l’ordre des avocats de Paris et au conseil national des barreaux. Pourquoi ne pas organiser un vote au Stringfellows ?

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