Une crise financière d’une ampleur exceptionnelle menace l’économie réelle de graves répercussions. Dans un tel contexte, la vocation historique du Parti Socialiste serait de parler haut et fort. S’ils se sont convertis à une « économie sociale de marché », les socialistes n’en affirment pas moins dans leur nouvelle déclaration de principe qu’ils «portent une critique historique du capitalisme créateur d’inégalités, facteur de crises (…) qui demeure d’actualité à l’âge d’une mondialisation dominée par le capitalisme financier ».
Il serait donc naturel, alors que le pays est sidéré par une crise dont les mécanismes et les conséquences échappent à beaucoup, que les citoyens qui se sentent proches de la gauche puissent trouver des réponses auprès du seul parti qui allie une tradition de défiance envers le capitalisme à une vocation à diriger des majorités de gouvernement. Cette attente de l’opinion de gauche, le PS ne se trouve pas en situation de la satisfaire. Le paradoxe qui veut que le vainqueur électoral du printemps 2008 apparaisse comme le grand absent de la crise de l’automne n’est certes pas difficile à expliquer. Si le Parti Socialiste est doublement empêché de tirer profit d’une situation a priori plus inconfortable pour un gouvernement libéral que pour un opposant de gauche, c’est d’une part parce que le PS n’a pas clarifié son positionnement économique, et d’autre part parce que cette crise survient alors que le parti est sans chef, et en compétition ouverte pour désigner son leader.
Les deux causes sont évidemment liées, et le référendum de 2005, la primaire de 2006 et l’entre deux tours des dernières municipales ont bien montré que les débats sur la vision économique ou les stratégies d’alliance interagissaient avec les querelles de personnes. Lesquelles querelles retardent ou empêchent la clarification de la doctrine économique et politique. Le problème est que cette articulation entre les débats de fond et les stratégies de conquêtes du pouvoir n’est pas assez lisible pour que l’opinion s’y retrouve. Si la compétition qui anime actuellement le PS pouvait se résumer, par exemple, à un affrontement entre les tenants d’un ancrage à gauche et les partisans d’une ligne sociale libérale, l’opinion aurait quelques chances de s’y retrouver, et le peuple de gauche de s’y intéresser. Mais ce n’est pas le cas, si bien que pour le public, cette compétition se résume à une lutte d’ambitions individuelles qui semble bien dérisoire au regard des enjeux du moment.
Ainsi, tout ce à quoi les Français ont assisté depuis l’université d’été jusqu’à aujourd’hui n’a eu pour la plupart d’entre eux aucune signification. Savoir qui déjeune avec qui, qui fait un préalable de quoi, être informé de déclarations de non candidature, ou de rapprochement entre des personnalités dont on ignorait qu’elles fussent éloignées, faute d’avoir suivi d’assez près les épisodes précédents, non seulement n’évoque rien pour de nombreux électeurs y compris proches du PS, mais met à mal cette proximité en suscitant beaucoup de scepticisme. Ce qui se passe au PS n’a pourtant en soi rien de particulièrement choquant de la part d’une organisation qui renouvelle ses dirigeants. D’autres formations politiques plus ou moins majeures ont eu et auront à régler la question de leur direction, et la manière socialiste en vaut bien une autre. Ce qui est problématique, c’est que par média interposés l’on prenne l’opinion à témoin de cette compétition, alors que l’opinion n’est pas en situation d’y trouver un sens ni d’y accorder de l’importance.
Il en va au fond des querelles internes au PS comme de certaines émissions de TV réalité : ce qui est choquant, ce n’est pas ce qui s’y passe, mais le fait qu’on juge utile de le montrer à la télé. L’exposition médiatique d’une compétition dont les enjeux de fond ne sont intelligibles que par les militants et spectateurs les plus attentifs de la vie politique est fort préjudiciable à l’image et au crédit du Parti Socialiste, comme à sa capacité d’action. Ce handicap pourrait toutefois être surmonté, et réglé par le congrès, si celui-ci avait pour résultat de désigner un leader et de lui donner légitimité pour dire ce qu’est la doctrine économique et politique du PS et tenir un discours clair sur la crise actuelle. A l’image du congrès de Reims, le congrès d’Epinay ne s’est pas déroulé sur un lit de roses, pas plus que le congrès de Rennes. Mais à Epinay il y eut un vainqueur (fut-ce au prix d’alliances acrobatiques), et cette victoire a donné le coup d’envoi de la conquête du pouvoir national. Il faut sans doute aujourd’hui qu’il y ait un vainqueur et une doctrine pour que le PS retrouve la confiance de ses sympathisants.
Cette exigence de leadership peut sembler regrettable, et problématique pour un parti qui a toujours favorisé en son sein le débat démocratique et l’existence de courants. Et l’affirmation d’une doctrine pourrait s’avérer risquée pour un PS qui a beaucoup pratiqué le grand écart. Mais elles sont difficilement contournables pour retrouver le crédit d’une opinion à nouveau éloignée de la politique après l’emballement de 2007, et qui ne regarde souvent la politique qu’à travers le prisme simplificateur de la télévision. Et quand on a vocation à être le premier parti de l’opposition, on peut difficilement faire fi des exigences de l’opinion.