la princesse
Tous les soirs, la princesse se laissait caresser.
Mais qui caresse ne rassasie que sa propre faim
et son désir à elle était mimosa farouche,
légende ouvrant grand les yeux sur la réalité.
Chaque nouvelle caresse emplissait son cœur de douceur amère
et de glace son corps, mais son coeur voulait davantage.
La princesse connaissait des corps
et elle cherchait des cœurs ;
elle n’avait jamais vu d’autre cœur que le sien.
La princesse était la plus misérable du royaume :
elle avait trop longtemps vécu d’illusions.
Elle savait que son cœur devait d’abord mourir,
être réduit en miettes, car la vérité ronge.
La princesse n’aimait pas les lèvres rouges,
elles étaient étrangères,
la princesse ne connaissait pas les yeux ivres
avec de la glace au fond.
Ils étaient tous enfants de l’hiver,
mais la princesse venait du grand Sud,
elle était sans caprices, sans dureté,
sans voiles et sans ruse.
*
le chagrin du roi
Le roi fit interdire à la Cour les mots
« chagrin »
et « malheur », « amour » et « bonheur », qui tous faisaient mal,
mais il restait encore le mot « elle ».
La reine caressait son époux comme un enfant,
aux heures crépusculaires il reposait sur son sein,
les yeux écarquillés de douleur.
Il écoutait dans l’angoisse chaque pas s’approchant de la porte
et l’aversion envahissait son visage.
Que fusent dans la cour, sources argentées, les rires des dames
le roi devenait pâle, changeait de conversation.
Pas une suivante aux boucles blondes
ne fut autorisée à se montrer dehors tête nue
et les petites ballerines en jupette
furent toutes bannies de la Cour.
Quand vint le printemps, le roi n’alla pas dans son jardin,
il garda la chambre qui donnait au nord…
Bleu pâle, le printemps regardait à travers les vitres.
Edith Södergram, Le Pays qui n’est pas et Poèmes, traduction de Lucie Albertini et Carl Gustaf Bjurström, Orphée la Différence, 1992, pp. 137 et 107
contribution d’Ariane Dreyfus
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