On aura chargé la veille les caisses et les paquets, calés avec du bulle. Finir les classes à midi, remballer sommairement ses cours et s’embarquer pour la route. On met le gps et le trajet se dessine avec le temps qui lui ressemble. Positionner la bouteille d’eau, le portable avec son kit mains libres, le paquet de biscuits parce qu’on aura pas le temps de manger. On pense déjà au retour et au lendemain avec la fatigue qui sédimente. D’abord s’extraire de la ville. Un écart de trajet répercute son incidence sur le temps, immédiatement. Comme une seule et même chose dite deux fois de façons différentes. On sent le poids du véhicule lesté, on s’y installe. On passe outre les rocades, on se dégage des camions, des bretelles d’entrée et de sortie. On cherche la route. Finalement on est seul, le solitaire lancé dans sa cabine avec ce poids du trajet qu’on sait déjà devoir apprivoiser. Les yeux qui vont comme coller à la route à force de la fixer. Le corps qui va se rasseoir en lui, favoriser les rêveries. Qui ne sera plus qu’une jambe tendue sur la pédale, pétrie. Des bras tendues, le coude parfois équilibré sur la portière, les mains imprimées au volant. L’objectif : caler une vitesse constante, anticiper les courbes, veiller au chargement. Ne pas se laisser happer par les histoires que vous voudriez coudre d’après les objets qui courent aux vitres. Ne pas perdre le regard. Que l’autre ne fasse pas d’écart lorsque vous le dépassez à 130 est une pensée qui vous procure une angoisse fugace. Angoisse régulière le long de ces 350km, de l’approche des camions souvent jusqu’à l’aspiration de sortie. Tout au long du parcours il y aura des averses locales plus ou moins violentes. Des zones de travaux avec réduction de voies, des entrées et des sorties, des noms de villes croisées. Certaines évoquant des trajets antérieurs, St-Etienne, Roanne que je passais à une période par la nationale, Thiers, la forêt sombre, Clermont, Montluçon/Commentry. Parfois les abords des voies sont comme des steppes inclinées aux harmonies de pailles et sureaux rouges. Ailleurs ce sont des forêts, des jungles enchevêtrées de ronces, d’autres fois des bois sombres et humides. Les reliefs se dessinent sous un ciel bas qui préfigure la nuit à venir. Je passe la montée où je reconnais avoir été victime d’une crevaison noël dernier sur un tout autre parcours. Je me demande à partir de quand, depuis où le texte s’écrit. Impression que le texte s’écrit déjà dans ce regard caressant qui fait comme de lécher les choses. Comme le tableau préexiste dans le regard que je pose sur le paysage qui fuit. Bourges. J’arriverais au soir. Mettrais le camion à cul, abouché à la double porte.