L'excellent médiéviste Philippe Walter, professeur à l'université de Grenoble, où il dirige le Centre de recherches sur l'imaginaire, vient de faire paraître dans la revue Grandes Signatures (n° 5, nov.-déc. 2008) un long article sur le thème "Les mythes païens et le christianisme", dans lequel il présente un synthèse des travaux érudits qu'il mène depuis des années sur la question.
Il insiste en particulier sur la nature très spécifique du christianisme médiéval, très différente de celle des christianismes d'après la Réforme et la Contre-Réforme ; la religion populaire, enracinée, se décline en une multitude de pratiques différentes selon les lieux et ne s'identifie pas au christianisme des théologiens.
La source de ces pratiques populaires est à rechercher dans l'imaginaire et les cultes pré-chrétiens : traditions païennes converties dans la vie légendaire des saints, rites celtiques et romains intégrés au culte des saints (l'auteur cite à ce propos un passionnant témoignage du pape Grégoire, au début du VIème siècle, invitant explicitement à ne pas détruire les anciens lieux de culte, mais à remplacer sur place les sacrifices aux anciens dieux à des sacrifices aux saints !), triades mythologiques et Trinité chrétienne, calendrier chrétien et fêtes païennes, figures de saints transfigurant des mythes et schémas mentaux païens.
Ainsi la figure de Saint Blaise, fêté le 3 février, réputé être capable de parler aux animaux, ne se comprend que replacé dans le contexte païen : le nom très français Blaise vient du celtique bleiz, le loup, animal au caractère prophétique dans les mythologies européennes, caractère qu'il partage avec saint Blaise ; ainsi celle de saint Bruno, le fondateur de la Grande Chartreuse (XIème siècle), dont le nom évoque le brun de l'ours (animal emblématique de l'imaginaire celtique) pour les hommes du Moyen âge, fut guidé lors de la fondation de son monastère par les sept étoiles de la Grande Ours et, une fois sur place, a vécu avec ses compagnons comme un ours, au fond des forêts loin des hommes. Dans ce second cas, c'est un imaginaire pré-chrétien encore bien vivant qui a donné lieu à la naissance de la figure sainte, et non une simple transposition. L'auteur évoque aussi le cas de Saint Martin, qui pourrait être l'héritier d'un ancien culte du... phallus. On est loin des spéculations théologiques des savants de la Sorbonne !
L'auteur conclut sans ambiguïté : " Profondément marqué et enrichi par son contexte local, le christianisme médiéval rural et populaire est un christianisme "celtique" voire "celto-germanique" ou "celto-slave." Il faut comprendre par là qu'il a hérité bien des traits des religions païennes qui l'ont précédé en terre d'Occident, et particulièrement pour la France de traits celtiques".
Dans le même numéro de Grandes Signatures, à noter une passionnante étude sur les monnaies gauloises du temps de la guerre des Gaules, source documentaire très précieuse pour compléter, confirmer ou infirmer le récit de César (B. Fischer), ainsi qu'un très bel article sur la tradition des troubadours occitants (M. Zink).
Amaury Piedfer.