Puits rocheux faconnes par les millenaires, les cenotes sont egalement, selon la tradition maya des portes ouvertes sur l’inframonde, Xibalba.
Dans la cite precolombienne de Chichen Itza, les squelettes des corps jetes en sacrifice a Chac, le Dieu de la pluie, reposent encore dans les eaux bleutees. Pour cotoyer un instant le monde de l’eau, il faut payer le prix - et les siecles n’y ont pas change grand chose , la colere de Chac prend parfois un plongeur ou deux en gage du passage de leurs comparses. Quelques trois cents aventuriers des profondeurs ne sont jamais remontes, et fort heureusement, cela ne decourage pas les milliers d’autres.
Le spectacle que reserve ces premieres brasses dans l’antre de Xibalba est facinant. Coupe de toute source marine directe, les poissons son restes enfermes des siecles durant, se reproduisant neanmoins dans les quelques metres cubes ou l’eau salee cotoie l’eau douce ; stalagtites et colonnes emplissent la caverne surchargee de sediments, offrant un ensemble inconcevable que les lampes de plongee osent a peine perturber ; ailleurs, c’est une chauve-souris ou une immense racine de zapote qui surgit le temps d’un bref retour a la surface, dans une cavite oubliee du soleil. Les reperes disparaissent, ou plutot changent variant avec l’”aloclina”, la ligne de demarcation des deux eaux, ou quelques secondes durant, sels et sediments brasses viennent troubler notre vue.
Les lieux depassent le tangible, le bleu caraibe gouverne la palette de couleur (quand celle-ci ne se perd pas dans l’obscurite), le temps devient une dimension eloignee, et l’ouie se limite au souffle regulier des bulles d’oxygene qui, remontant vers la surface et coincees par la roche, forment des mirroirs de noirceur reflechissante.
Tout se finit pourtant, et on se surprend alors que l’on emerge a la surface a rever aux pierres d’obsidienne, aux polytheismes disparus et au sang nouricier des hommes, point d’equilibre entre l’Inframonde et le royaume resplendissant du serpent a plumes et de ses freres jaloux.