Heureusement que Philippe Haïm, le réalisateur de « Secret défense », ne ménage pas sa peine pour expliquer et défendre son film prévu pour sortir le 10 Décembre 2008. C’est vrai qu’une petite séance d’explication publique ne fait jamais de mal, mais là, c’était vraiment un plus de pouvoir relire le film juste après sa projection avec Philippe Haïm en guise de guide, dans une salle privée de chez UGC. Et naturellement, Tonton Sylvain, souvent sur les bons coups, ne s’était pas fait prier pour poser une fesse sur les fauteuils moelleux. Ou plutôt si, il s’était un peu fait prier en voyant qu’il s’agissait d’un film français, cinéma depuis longtemps abonné au grattage de plaie mélancolique sous couvert de hauteur de style ou de pensée profonde ou à la gaudriole. Un vague souvenir que Gérard Lanvin pouvait faire autre chose l’avait finalement emporté, et voilà Tonton embarqué pour l’aventure.
Affiche France (cinemovies.fr)
Le film s’ouvre sur une prostituée pensive sur un lit pendant que son client se rhabille et fixe un rendez-vous pour la prochaine fois. Mais elle lui annonce qu’elle raccroche les gants en même temps qu’elle ôte sa perruque. Le client n’en croit manifestement pas un mot. Fin de la scène. Episode suivant : Diane (Vahina Giocante) étudiante aux Langues Orientales se fait coller à son examen d’arabe malgré sa tentative de se concilier le prof imperturbable qui lui fait rater une occasion de stage rêvée. Elle sort énervée de l’amphi avant de se faire rattraper par un des autres étudiants (Aurélien Wiik) qui lui fait une drague d’enfer jusqu’à se réveiller au petit matin auprès d’elle. Episode suivant : Alex (Gérard Lanvin), le père du jeune homme, débarque dans la soirée qu’ils organisent avec des amis et embauche la fille quasiment de force en lui révélant qu’il connaît son passé de prostituée. Mais le job de représentant en vins du père n’est qu’une couverture et Diane se retrouve enrôlée comme agent des services secrets français, avec entraînement dans une caserne isolée, sous les ordres du père, chef d’opérations, et d’un groupe d’officiers traitants plus ou moins rigides, dont Leïla (Rachida Brakni) et Amed (Mehdi Nebbou). Après la période d’entraînement, Diane se voit propulsée sur le terrain, sur une opération visant à déjouer une tentative d’attentat islamiste ourdie depuis le moyen orient par un dénommé Al Barad (Simon Abkarian).
Parallèlement, Pierre (Nicolas Duvauchelle) est un gamin paumé de banlieue, vivant seul chez sa mère (Catherine Hiegel), vivotant de petits trafics, qui finit par se faire jeter en prison où il se fait mettre le grappin dessus par un groupe de co-détenus musulmans dont la tutelle protectrice le conduit vers la conversion à l’islam. En sortant de prison, Pierre tente de rentrer chez sa mère qui ne supporte plus son attitude et finit par le mettre à la porte. Il est alors prêt pour être pris en main par un groupe islamiste qui finit par l’expédier en Afghanistan dans un camp d’entraînement à l’attentat suicide.
Les deux histoires se raccrochent quand c’est justement Pierre qui est sur le vol vers Paris qui croise celui par lequel l’organisateur de l’attentat accompagné de Diane arrive de Beyrouth à Paris. Un jeu de passe-passe fait arriver la bombe chimique à la ceinture de Pierre qui s’engouffre dans le métro poursuivi par Diane, tandis que le reste des services secrets se charge d’Al Barad. On frôle la catastrophe juste avant le dénouement à tiroirs dans lequel on apprend que même Diane s’était faite manipuler de longue date, depuis même la première scène du film.
Pour une fois, un film français qui pourrait se comparer à un film d’action américain. C’est assez rare pour qu’on veuille bien le saluer. On n’est pas dans l’intimiste, ni dans la parodie. On a une histoire qui se tient, une action qui de déploie, et qu’on arrive à suivre pour l’essentiel. Ca bouge, ça pétarade, ça complote, avec un début, un milieu, et une fin. Ca a l’air basique dit comme ça, mais ce n’est pourtant pas si fréquent de nos jours.
Si en plus le sujet est documenté, validé par toute une flopée d’experts tant du monde des services secrets que de celui de l’islamisme, dont certains apparaissent même au générique, on se dit qu’il n’y a pas grand chose à redire et que la séance valait le déplacement.
C’est alors qu’arrive le doute et la mauvaise conscience : « Je vais quand même pas me contenter de la brosse à reluire » se dit Tonton Sylvain ; « Y’a bien des trucs qui clochent, non ? Juste histoire d’user aussi un peu mon gant de crin ».
Et quand on cherche, on finit par trouver …
D’abord côté interprétation. Gérard Lanvin est certes assez irréprochable en baroudeur buriné manipulateur et taiseux. On pense à Ventura ou à Gabin dans le même rôle et on se dit que la relève est bien assurée. Simon Abkarian est du même tonneau, même si je ne parviens pas à m’habituer à sa coiffure gominée, mais c’est une autre histoire. Mehdi Nebbou, en officier traitant érodé par le doute, est également largement convaincant. Catherine Hiegel, malgré un rôle peu développé, est assez hallucinante de désarroi et de colère tout à la fois.
Le reste du casting, de son côté, ne fait pas dans la dentelle, limité par un surjeu en forme de fausse note. Dans le genre, Rachida Brakni, toute mignonne qu’elle puisse être, en fait des tonnes sur le mode « sans doute et sans peur ». Mais la palme revient sans conteste à Nicolas Duvauchelle, et tant pis si Tonton Sylvain se fait une réputation de vieux croûton imperméable. L’animal sent l’Actor’s Studio à des kilomètres. Quand on aime, c’est Byzance, mais sinon c’est à se taper le front sur le tableau de bord. Qu’est-ce qu’il peut y avoir de crédible dans un personnage illuminé à ce point ? On comprend qu’il arrive rapidement derrière les barreaux. On ne comprend pas comment il en sort vivant ou comment il n’y retourne pas dans la seconde qui suit. Ni comment il parviendrait à survivre simplement quelques minutes dans le monde réel. On revient à des choses plus supportables avec les surprenantes prestations des experts invités au casting, peut-être grâce à leur longue habitude des plateaux télé et à leur connaissance du sujet lui-même.
La réalisation, de son côté, a largement assimilé les codes du genre. Parfois peut-être un peu trop d’ailleurs, et « La mémoire dans la peau » a laissé des séquelles qu’il faudra sans doute longtemps pour effacer : un découpage syncopé, une caméra hystérique, un mixage de plans à la mitrailleuse lourde. L’action est bien là, mais par moments à un point tel qu’elle finit par gommer le but de l’action. On est submergé par un tourbillon frénétique dans lequel on se noie et au milieu duquel on n’a même plus le loisir de se demander où tout cela peut bien aller. Mais à la différence de « La mémoire dans la peau » et de ses congénères, ce genre de péripétie a heureusement une fin qui permet de raccrocher à l’histoire. Il suffit d’attendre que ça passe, pas trop longtemps d’ailleurs, et on retouche la terre ferme.
Quelques effets un peu artificiels et qu’on aurait bien vu dans « OSS 117. Le Caire, nid d’espions » viennent se greffer sur tout ça : une mappe-monde qui tourne à toute allure avant de s’arrêter subitement sur fond d’entretien top secret sous les dorures d’un ministère, un glissement de reflet sur une voiture en gros plan dont c’est le seul indice d’un long trajet, … Mais après tout, cela ne s’intègre pas si mal dans le tableau et peut aussi bien être vu comme une respiration ludique dans une trame générale lourde.
Mais le sujet est ailleurs. Philippe Haïm avoue quatre ans de travail pour réaliser son film. Quatre ans de rencontres, de réflexion, d’apprentissage d’un milieu plus que fermé. Quatre ans de mise en place de contacts, de création de liens avec des professionnels experts pour aboutir à cette histoire symétrique d'un couple manipulateur / manipulé d'une part chez les espions et d'autre part chez les terroristes. Cela se sent, et c’est tant mieux pour la crédibilité. Mais cela manque aussi de réponse à une question élémentaire : comment accorder foi à des experts dont la raison sociale est dans la manipulation ? Comment regarder ce qu’ils veulent bien montrer quand ils nous disent eux-mêmes à quel point ils ne peuvent naviguer que dans les eaux sombres, le mensonge, le faux-semblant. On en revient au paradoxe rencontré en classe de sixième : un Crétois m’a assuré que tous les Crétois sont des menteurs. Comment décider si j’y crois ou pas ? Quelles pouvaient bien être les motivations de ces experts de la manipulation dans l’ombre en annonçant dévoiler leur arrière-boutique ? N’est-on pas dans la manipulation ? Entouré de tous ces experts, Philippe Haïm n’est-il pas, justement, le support d’une histoire qu’on tente de nous faire croire ? Et de quelle histoire pourrait-il bien s’agir ? Allez savoir … Les tiroirs à fonds multiples devenant la règle dans un monde de conspiration, il est permis de douter, de se résoudre à ne rien prendre au pied de la lettre, y compris la parole des « experts ». Même si on ne sait pas bien à quoi cela servirait, et où serait la chausse trappe, la seule leçon évidente est que rien n’est comme il semble être. Et débrouillez vous avec ça !
En attendant, amusons nous, laissons le vertige d’une histoire d’escrocs de haut vol nous distraire un instant. Et ce n’est déjà pas si mal.