Blue Cheer et Big Brother & The Holding Company, deux groupes classés à la lettre B. La comparaison pourrait s’arrêter là. Et non. Blue Cheer et Big Brother sont issus de la scène san franciscaine et partagent un goût immodéré pour la saturation, le blues, la vie en communauté et la défonce. Vaste programme. Janis Joplin, qui hurle à la tête de la Holding Company, avoua longtemps sa passion pour Blue Cheer qui était la formation préférée des Hells Angels, ces derniers figurant en estampille comic stripé par Robert Crumb sur la pochette du bouillonnant (Dope, sexe and) Cheap Thrills. La boucle est bouclée. En 1968, le summer of love s’est radicalisé, les sons aussi, et nos compères sortent respectivement leurs pièces maîtresses, Cheap Thrills pour Big Brother, Outiside Inside pour Blue Cheer. Les décibels feront le reste du job. Le gang de Janis choisit l’une de ses nombreuses représentations au Fillmore East de New York pour l’immortalité vinylique. Combination Of The Two commencent les hostilités à grand renfort d’électricité crachée et de voix « dopées » à la testostérone, l’entrée en matière pose un style résolument rock, fièrement enraciné au blues. Janis vocifère, hurle à pleins poumons (on est au Fillmore), il faut alors imaginer la puissance nécessaire pour toucher une telle audience. Mais Pearl possède cet organe extraterrestre qui lui permet de rivaliser avec ses modèles, Big Mama Thornton et Bessie Smith. Remarquable interprète qui cristallise en quelques décibels toute la souffrance du peuple noir, son histoire malmenée, ballottée d’un pays à l’autre, Janis est la seule capable de jouer cette page sans fioritures. Les 7 titres jouées entre le 2 mars et le 20 mai 1968 représentent la quintessence du style Joplin, entre vibrations san franciscaines et incantations bouleversantes. Il serait stupide de minimiser la portée du groupe qui l’entoure et ce pour plusieurs raisons. Big Brother concentre trois guitaristes qui s’échangent la place de Lead, contribuant ainsi à enrichir la palette des couleurs musicales. Sam Andrew, James Gurley, Peter Albin et David Getz sont tous crédités comme compositeurs, notamment sur des classiques comme Combination Of The Two et I Need A Man To Love. Ball and Chain vient clore le disque, les neuf minutes et 37 secondes continuent à hanter l’espace et le temps, sitôt le bras de la platine levé, cette reprise vibrante est à l’image du destin de Janis Joplin, intense, brûlant, émouvant. Avant de verser le moindre soupçon de larme, passons au cas Blue Cheer. Trois furibards chevelus composent la trame minimaliste du combo et c’est sur fond d’amplis Marshall énormes qu’ils rédigèrent ce chapitre du rock américain que l’on aurait tendance à trop vite zapper. En 1968, ils sortent leur deuxième opus, Outside Inside. Comment pourrait-on définir leur style, hum, … Du bruit, de la fureur, et des… Non, pas le temps de chialer. Leigh Stephens, Dick Peterson et Paul Whaley posent les bases californiennes du hard rock car il faut bien le dire, nul sitar, nuls cuivres pour venir troubler la calme violence qui explose tout au long des neuf titres du Lp. Psyché certes, mais diablement sonique, matez donc à l’intérieur de la pochette le mur d’amplis évoqué plus haut. Injustement oublié, Blue Cheer n’est ni plus ni moins précurseur d’un style stoner noisy qui déclinera parfaitement les Queens Of Stone Age. Et puis il y a la voix vitriolée du bassiste Dick Peterson dont les aigus poignardent les oreilles de l’auditeur pour son plus grand bonheur. Putain, à trois ces mecs-là font plus de bruit que tous les métaleux de bas étages qui monopolisèrent le devant de la scène musicale, des 80s jusqu’aux années 00, sans oublier ces légions grotesques de pseudo gothiques à tendance zombies qui font aujourd’hui plus hurler le bourgeois, pour raison d’abus de visages fardés et de bottes cloutées, que les guitares débridées. Certes, Blue Cheer avait des allures de paisibles hippies mais la folie qui couvait sous leurs têtes ne mis que très peu de temps à s’éveiller, et demeure aujourd’hui intacte, totale, rock’n’roll… Et sans la moindre ride.
La semaine prochaine : Electric Ladyland