Ce soir, l’idée était de s’intéresser plus particulièrement à l’école de Darmstadt.
L’école de Darmstadt dites-vous, mais qu’est-ce donc ?
En 1946, Wolfgang Steinecke fonde dans cette petite ville du centre-ouest de l’Allemagne un centre international de musique contemporain qui eut rapidement une forte renommée (vinrent y enseigner par exemple Edgard Varèse, John Cage ou encore Olivier Messiaen qui y conçut d’ailleurs la première de ses quatre études de rythme) et devint synonyme de modernité radicale (ce qui n’étonnera guère vu les noms cités précédemment qui lui sont associés) et de sérialisme généralisé.
L’interprète du jour, l’ensemble intercontemporain, s’inscrit dans une tradition contemporaine, celle du petit ensemble avec ce goût pour le réduit qui, comme le soulignait David, « s'inscrit à la fois dans les expérimentations intellectuelles du temps [celui des premières recherches sérielles] et dans les nécessités pratiques de la création d'œuvres pour des novateurs prolifiques. »
Un peu plus qu’une anecdote si on considère la thématique dans laquelle s’inscrit la soirée.
C’est qu’il est difficile de s’extraire complètement de ce qui nous précède et tout tabula rasa que se prétend ce mouvement, le passé est moins rejeté qu’au mieux refoulé.
Ces sentiments ambivalents à l’égard de l’histoire me semblent bien résumés dans la figure de Pierre Boulez qui peut, à la fois, faire sienne la citation de Paul Claudel : "J’ai horreur du passé, j’ai horreur du souvenir" et parler, dans un texte récent en hommage à Messiaen, de la "modernité permanente du passé."
On peut aussi relever le fait que l’un des compositeurs joués ce soir, Mark André, dit puiser quelques unes de ses idées les plus novatrices dans des réflexions sur l’ars subtilior de la fin du XIVe siècle. Ou encore qu’un autre, Bruno Maderna, a produit des adaptations pour orchestre de Josquin Desprez ou Giovanni Gabrieli. Faut-il alors comprendre que ce qui est rejeté est davantage le passé le plus immédiat que le passé tout court ?
Ce préambule maintenant conclu, passons aux détails du concert :
On commence par le plus célèbre des compositeurs présentés ce soir, Stockhausen. Les Kontra-Punkte, morceau datant de 1953, est officiellement le premier opus dans le catalogue des œuvres du compositeur.
Comme le titre lui-même le signale, nous sommes à la fois dans le registre du contrepoint et du pointillisme. Les instruments se répondent : on est plus dans la succession des interventions que dans le jeu simultané, une caractéristique qui se retrouvera dans l’ensemble des œuvres programmées ce soir. C’est, je crois, dans une interview de Max Nyffeler que j’ai lu l’expression "style ponctuel à la Darmstadt".
Plaisant sans plus. Mais à réécouter peut-être.
Aparté : les changements et réaménagements de l’instrumentation opérés entre deux morceaux, furent l’occasion de ballets aussi charmants qu’involontaires.
On continue avec …es…, une pièce de Mark André, compositeur assez jeune et ancien élève d’Helmut Lachemman – que l’on entendra un peu plus tard. Une pièce très séduisante, placée sous l’influence d’une musique concrète instrumentale à laquelle elle ne se limite pas. L’occasion donc d’un jeu très riche sur les sonorités (je me souviens notamment de coups d’archets sur les lames d’un vibraphone qui avaient un son fort intéressant) ; les instruments sont manipulés en dehors de l’usage classique (frappés, frottés, renversés) et tout cela donne une musique expérimentale ludique qui n’oublie pas pour autant de se présenter parfois sous des abords charmants avec quelques éclairs de vraie joliesse mélodique dans le bourdonnement majoritaire.
Bruno Maderna ensuite, avec sa Serenata n°2 pour 11 instruments. J’ai beaucoup aimé.
Comme il est d’usage dans la contemporanéité qui nous est ce soir proposée, c’est autour de contraintes que la musique se conçoit. Ce qui est amusant ici c’est que le compositeur cherche à tourner autour du chiffre 12, l’évitant toujours (nous avons par exemple onze musiciens pour treize instruments) dans un malicieux clin d’œil au dodécaphonisme, en quelque sorte le socle de l’esprit Darmstadt. C’est sans doute dans cet esprit joueur, ce côté oumupiste, que vient se nicher le charme de cette musique qui, comme le morceau précédent, ne se refuse pas, par instants, la facilité de la mélodie.
On conclut avec le Mouvement (-vor der Erstarrung), pour ensemble, d’Helmut Lachenmann.
Esprit de sérieux, radicalisme austère, le moins que l’on puisse dire c’est que cette musique n’a rien d’aguicheur. J’ai déjà entendu des choses tout à fait intéressantes de la part de Lachenmann – ce disque par exemple - mais j’ai le sentiment que le théoricien étouffe le compositeur et qu’il reste comme bloqué dans ses principes. On retrouve ici la musique concrète instrumentale, après tout, comme c’est lui qui en est le théoricien, mais ce qui semblait s’inscrire chez Mark André dans une idée musicale m’a donné ici l’impression de s’auto-suffire. Le refus absolu de séduction, l’immense (et d’après moi un peu vaine) ambition de renouvellement total (s’exprimant sur sa musique dans un n° de la revue Entretemps, Lachenmann déclarait refuser de faire "une musique qui exprime quelque-chose, partant donc d’un langage intact et déjà donné") sont des partis-pris très respectables mais me semblent surtout nuisibles lorsqu’ils ne font que s’exhiber.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que celui des quatre compositeurs qui se conforme le plus strictement au désir de table rase est aussi celui qui m’a paru le moins convaincant.