Yves Eudes publie un papier dans le Monde ainsi intitulé « Profession blogueur » ! Il décrit un certain nombre d'expériences de blogueur qui ont réussi à faire de leur passion un métier. Sans doute faiblement rémunérateur. Mais probablement plein d'opportunités. L'économie du net n'en est encore qu'à son balbutiement et la jeune génération inventera les nouveaux métiers auxquels nous n'avons jamais pensé. Pour ceux d'entre vous qui connaissent bien ce sujet ou qui ont lu articles ou livres sur ce thème, merci de nous éclairer de vos lumières. Merci d'avance.
Pendant sept ans, Steve Hemmerstoffer a travaillé à plein temps au centre d'appels de SFR de Woippy, dans la banlieue de Metz : "Un boulot catastrophique, pas gratifiant, payé au smic, tout en horaires décalés." Depuis 2006, il menait une double vie. Dès qu'il rentrait dans son deux-pièces du centre-ville, il s'asseyait devant son ordinateur, et devenait "Stagueve", créateur et seul maître à bord de "Nowhere Else, le blog du Geek urbain" : "Au début, c'était un blog perso sans but précis, pour me changer les idées. Or ça a été une révélation. J'ai compris que j'avais trouvé ma voie."
Puis "Stagueve" décide de suivre l'actualité du secteur informatique, des jeux vidéo, et du design Internet. Il s'aperçoit vite que pour exister, un blog high-tech doit être mis à jour en permanence. Pour cela, il faut lire des centaines d'articles et de communiqués publiés par les sites Internet d'entreprise, les webmagazines américains et les forums spécialisés, puis traduire ou rédiger plusieurs articles par jour. La tâche est écrasante. Le blog dévore tout le temps libre de Steve, ses week-ends, ses soirées.
Après des mois de travail, Nowhere Else acquiert une petite notoriété dans la blogosphère - 3 000 à 4 000 visiteurs par jour, dont un millier d'abonnés. Steve passe alors à la deuxième étape. Il s'inscrit sur Adsense, le service automatique de Google, qui affiche sur ses pages des bannières publicitaires en rapport avec le sujet de ses articles, et le paie quelques euros par jour, selon le nombre de visites.
Ensuite, tout devient facile. Nowhere Else est repéré par les agences de publicité en ligne, qui utilisent des outils très sophistiqués pour mesurer le trafic des blogs, leur taille, leur contenu, et leur influence. L'agence 24.00h contacte Steve et lui offre un contrat pour l'affichage de bandeaux publicitaires. Puis la régie BlogRider lui propose d'écrire des "billets sponsorisés", articles de commande vantant les mérites d'un produit. Steve accepte, sans se poser trop de questions.
Il fait alors un petit calcul et découvre qu'il pourrait gagner autant d'argent avec son blog que chez SFR. En août, il quitte son emploi et devient de facto blogueur à plein temps. Nowhere Else s'est imposé dans sa vie comme un instrument de reconversion professionnelle et de promotion sociale : "Je gagne toujours le smic, mais à 30 ans, je me sens libre pour la première fois de ma vie. Je vais aussi toucher les Assedic."
La meilleure façon d'accroître le trafic et les recettes d'un blog est de publier des informations avant la concurrence. Il faut aussi le faire savoir, pour que le blog monte dans le classement de Google et d'une myriade de moteurs de recherche, systèmes de mesure et répertoires spécialisés. Un énorme travail de référencement vient donc s'ajouter aux tâches éditoriales. Résultat, Steve passe sa vie devant son écran : "Je me lève à 5 heures du mat'et je me couche à minuit. Parfois, je veille toute la nuit, je dors quand je m'écroule, je me nourris de pizzas et de hamburgers." Sa nouvelle carrière semble bien partie. Une troisième agence l'a enrôlé dans une opération de marketing viral pour une console de jeu vidéo, et une compagnie de télécom lui permet de tester à domicile ses nouveaux services.
Steve est l'un des 1 500 "blogueurs français influents" répertoriés par la régie Ad Rider et sa filiale spécialisée Blog Rider. Son patron, Arnaud Callone, explique qu'il a fallu réinventer la publicité pour l'adapter à la blogosphère : "Le blogueur doit rédiger ses billets sponsorisés en respectant le cahier des charges que nous lui fournissons, mais il doit aussi s'approprier le sujet, utiliser ses propres mots, conserver son ton habituel, pour que le billet s'intègre naturellement dans le blog." Le "UGC" (user-generated content, contenu généré par les internautes) est devenu un terrain stratégique pour les marques : "Le lecteur va faire confiance à ses pairs bien plus qu'à un journaliste inconnu et lointain." Les blogueurs sont libres de signaler ou non à leurs lecteurs qu'un article est sponsorisé.
Blog Rider utilise aussi ses blogueurs pour des opérations de marketing de rue : "Air France a lancé une campagne vers les jeunes. Nous avons mobilisé vingt-cinq blogueurs influents. Au jour J, ils ont averti leurs lecteurs parisiens que s'ils allaient immédiatement sur l'esplanade des Invalides, ils gagneraient cinq billets gratuits pour le Mexique. Plus de 400 jeunes ont accouru."
Cela dit, Arnaud Callone revendique une éthique professionnelle, il refuse certaines campagnes : "Une compagnie pétrolière voulait placer des billets sponsorisés sur des blogs écologistes, c'était trop !"
Quelques blogs réussissent déjà à dégager assez de revenus pour nourrir une petite équipe. Anh Phan, 32 ans, ancien ingénieur informatique, a quitté un emploi stable et bien payé pour devenir blogueur pro : "J'ai subi une baisse de revenus, mais ma compagne était d'accord pour tenter l'aventure, et elle a gardé son emploi salarié." Son blog high-tech, Le Journal du Geek, reçoit plus de 25 000 visites par jour, et génère un chiffre d'affaires de 7 000 euros par mois. Anh a embauché un rédacteur et un stagiaire : "Une fois que j'ai payé tous mes frais, il me reste 2 000 euros par mois, je m'en sors."
Dès qu'Anh a été classé "influent" par les publicitaires, sa vie a changé : "J'ai découvert le fameux monde des journalistes, où tout est gratuit." Les nouveaux produits informatiques arrivent directement chez lui par La Poste, et les agences de communication l'invitent à des voyages de presse : "On m'a emmené aux Etats-Unis, à Berlin, à Barcelone, à Ibiza, à Val-d'Isère... Je me retrouve avec des journalistes de la presse classique. Aucun problème, ils m'acceptent comme un des leurs." D'ailleurs, il reconnaît que, en se professionnalisant, Le Journal du Geek ressemble de plus en plus à un webmagazine : "On garde un ton intime, mais on se permet moins de blagues ou de méchancetés, et on élargit nos centres d'intérêt." Anh accepte les bannières publicitaires, les liens et les publi-reportages rédigés par les agences. En revanche, il a cessé d'écrire des billets sponsorisés, qu'il considère comme des publicités un peu déloyales.
Yves Eudes
Article paru dans l'édition du 11.11.08.