Depuis l'Antiquité, le port de la ville est une plaque tournante pour le trafic des sels, extraits des étangs d'Exindre près de Villeneuve-les-Maguelone ou de Peccais à Aigues Mortes. En 1263, douze patrons de bateaux sauniers sont inscrits au port de Saint Saturnin et emportent cet or blanc vers la Bourgogne et les provinces suisses.
En cheminant dans le coeur de la vieille ville, les noms des rues nous renseignent sur les activités artisanales d'autrefois ; les rues du Haut et du Bas Mazeau rappellent que Saint Saturnin était connu pour ses marchés aux bestiaux dont les viandes étaient transformées en charcuteries et en salaisons très réputées. Non loin de là, sur l'actuel quai Bonnefoy Sibour, un étonnant bâtiment est orné d'une tête de boeuf : au début du XXème siècle les abattoirs de la ville ne s'étaient guère éloignés de ceux du Moyen Age ! De plus, la "filière viande, associée au négoce du sel, alimentait la corporation des tanneurs qui exerçaient leur métier malodorant au nord de la ville, près du ruisseau disparu des Calquières.
A Saint Saturnin, un projet est esquissé durant la première moitié du 13 ème siècle, mais ce fut un échec qui tomba à l'eau. Cependant, parce que l'existence d'un pont à Saint Saturnin se révèle être un atout stratégique dans leur politique "d'aménagement du territoire", les rois capétiens - qui cherchent à renforcer leur pouvoir sur la ville en affaiblissant l'autorité du Pieur - favorisent la mise en oeuvre du projet. Huit notables de la ville, les Recteurs, sont élus pour diriger l'Oeuvre, une confrérie mi-laïque, mi-religieuse est chargée de la construction et de l'administration du pont. Au printemps 1265, les Recteurs demandent au Prieur l'autorisation d'entreprendre les travaux mais, durant tout l'été, celui-ci se fait prier puis finalement accepte. Ainsi, le 12 septembre de cet an de grâce, Dom Jean de Thyange inaugure le chantier en grande pompe et pose, sur la rive gauche, la première pierre. Les travaux durèrent 44 ans et, lorsqu'en 1309 le pont fut achevé, les légendes concernant sa construction étaient connues dans l'Europe entière. En effet, bonnes gens sachez-le, la réussite de cet ouvrage tient de l'opération du Saint Esprit, car "l'inspiration divine" donna un sacré coup de main aux cohortes d'ouvriers qui y oeuvrèrent. Lorsque le pont fut achevé et que sa renommée se répandit, la ville changea une deuxième fois de nom et troqua Saint Saturnin du Port pour Pont Saint Esprit.
Pour sacrifier à l'esprit divin si puissamment révélé, un oratoire, dressé à la tête du pont, reçoit les dons des pèlerins. C'est avec ces mânes ainsi qu'avec le fruit des quêtes recueillies aux alentours et dans tout le monde chrétien que l'Oeuvre finança la construction du pont. Plus tard, alors que leurs caisses s'appauvrissent, la confrérie bénéficia des taxes issues du péage établi sur le pont et surtout des bénéfices du Petit Blanc, un impôt perçu sur les sels. Malgré les soins de ses administrateurs et les réparations régulières dont il fit l'objet tout au long de l'histoire, le pont, croyait-on, menaçait de s'écrouler. Pour le ménager, la circulation des véhicules fut proscrite dès le Moyen Age.
Au 17ème siècle, un Arrêté du Roy réitère l'interdiction pour toutes "charrettes, fourgons, chariots et autres semblables voitures chargées de marchandises ou vides en quelque matière et sous quel prétexte que ce soit, comme aussi de faire passer sur le pont aucune charrette, calèche ou chaise roulante autrement que sur des traîneaux, sous peine de confiscation des marchandises et des véhicules, destitution des chartges et punitions corporelles".
Les marchandises traversaient donc le fleuve sur des barques ou des traîneaux tirés par des portefaix. On raconte que le Maréchal de Bassompierre refusant que son armée traversa le Rhône sur des patins, brava l'interdit mais fit étendre de la paille sur toute la longueur du pont afin d'amortir les cahots causés par ses canons. Le pont ne fut rendu à la circulation automobile qu'après la Révolution et, aujourd'hui encore, voitures et poids lourds l'empruntent quotidiennement sans lui causer de dommages apparents.