« Malavita encore », voilà encore un ouvrage trouvé par hasard. J’allais dire : sur un quai de gare, si je m’étais déplacé par le train. Mais j’ai ajouté ces derniers jours quelque trois mille kilomètres de parcours, dont seulement trois cents en voiture, de telle sorte que j’ai déjà battu mon record annuel de parcours aérien, et de loin !
En attendant le prochain départ qui me conduira de ville en ville dans la péninsule ibérique pendant au moins quinze jours, je termine un roman vers lequel je ne me serais jamais tourné si je n’avais lu que l’auteur avait écrit des scénarios pour certains des films de Jacques Audiard et sans doute aussi du fait qu’il se situe dans le contexte du rapport à l’Italie, le pays d’où a émigré la famille de Tonino Benacquista, l’auteur et l’Italie des clans mafieux américains dont provient son héros.
Un personnage récurrent puisque quatre ans (2004-2008) séparent les deux « Malavita » (Editions Gallimard).Voilà un titre qui ne viendra pas me hanter par sa perfection linguistique ou l’originalité de sa construction. En fait il devrait plutôt figurer sous une couverture de roman noir, s’il ne s’agissait pas d’un roman que l’on peut prendre sous l’angle d’un humour pris à quelques degrés du genre policier.
Comme tout Européen qui a grandi dans les effluves des séries américaines, en particulier les « Incorruptibles », l’imaginaire de la guerre des gangs peut donner naissance à des images un peu sanglantes, mais sans la couleur du sang. Du moins pour les Européens qui ont connu la télévision en noir et blanc, car aujourd’hui, les gangsters et les policiers, que j’aperçois de temps à autre sur les écrans devenus plats, ont soit un air avachi, certainement dû à la puissance polluante des grandes villes américaines et européennes, soit un air de pontife en blouse blanche dont les pincettes saisissent des micro fragments de cellules en étant assurés que les chromosomes avoueront la vérité sous la torture des analyses chromatographiques, soit un air de flics français, mi voyous, mi fleurs bleues, ne sachant plus très bien où se situe la limite du droit fixé par leur Président bien aimé.
Alors, par rapport à cette mutation télévisuelle des policiers et des bandits du XXIe siècle, Fred (comme Fred Vargas), Maggie et leurs enfants ont un air plutôt respectable de personnages de bande dessinée où les protagonistes possèdent parfois la découpe élégante et nonchalante de Corto Maltese, mais bien plus souvent les bizarreries de la famille Malaussène de Daniel Pennac.
Comment devient-on écrivain lorsqu’on a été le fils prometteur d’un capo et qu’on est devenu un repenti que la police américaine entoure en permanence d’un rideau de fumée ?J’avoue que si on m’avait posé cette question sur la couverture, je n’aurais certainement pas dépassé la page de titre.
Mais ce Fred là, qui pourrait casser l’os d’une jambe de ses ennemis à main nue, recherche sa baleine et se prend d’amour pour Moby Dick.
« Une semaine plus tard, en sortant le livre de sa boîte aux lettres, Fred se sentit intimidé et le cacha dans sa table de nuit sans même l’ouvrir. Plusieurs jours durant, il se chercha quantité d’excuses pour reculer l’échéance et doubla son rythme de travail afin de ne plus avoir le temps ou l’énergie de commencer sa lecture. Ouvre-le, bordel, et Melville fera le reste.
En cette nuit d’insomnie, sa femme blottie contre lui, le moment était enfin venu. Il alluma sa lampe de chevet, se redressa dans le lit sans réveiller Maggie, et ouvrit le roman à la première ligne du chapitre 1 :
Je m’appelle Ismaël. »
Tout cela ne prête pas vraiment en conséquence et se lit comme on chante une chanson de Trenet. C’est toujours un plaisir ! Et le monde est presque parfait !
Mais pendant ce temps là à Gomorra ou Gomorrah, sous les feux de Dieu, les Napolitains vivent dans la fange des ordures mafieuses et politiques.
Et Roberto Saviano se demande quel fusil va l’atteindre.
Photographies : extrait du film de Matteo Garrone et les ordures à Naples, cliché AFP