La victoire de Barack Obama a soulevé la question, récurrente, de la représentation des minorités dites « visibles » parmi les élus et responsables politiques français. D’aucuns ont voulu y voir un encouragement. D’autres ont souligné le chemin qui restait à parcourir dans une société dont on a souvent entendu dire ces derniers mois qu’elle ne serait pas « prête » à élire l’un des membres de ces minorités à la tête de l’Etat. Outre les qualités personnelles indispensables à l’affaire et les circonstances nécessaires à une telle élection (contexte économique et social, qualité de l’adversaire et de sa campagne, besoin manifeste de changement d’époque et de personnel politique, etc.) qui ont joué un rôle-clef dans le cas américain, on insistera plutôt ici sur l’arrière-plan politique : comment les partis accueillent-ils et promeuvent-ils les personnalités issues de ces « minorités visibles » ? Les différences entre le système politique américain et le système politique français sont, de ce point de vue, considérables et pourraient bien expliquer si ce n’est un « retard » français, du moins une manière différente de penser l’intégration politique des différences ethno-raciales, pour reprendre le terme usuel aux Etats-Unis.
Première différence essentielle entre les deux systèmes : la sélection des candidats issus des « minorités visibles » se fait de manière beaucoup plus objectivée aux Etats-Unis qu’en France. A la fois pour des raisons de mode de scrutin (uninominal à un tour aux Etats-Unis) et de large reconnaissance des identités ethno-raciales dans l’espace public. Ainsi Barack Obama a-t-il commencé sa carrière politique dans une circonscription électorale de Chicago (pour le Sénat de l’Illinois) où seul un Noir pouvait être élu et où la compétition électorale principale (sous la forme de primaires en l’occurrence) se déroule entre candidats démocrates noirs. Aux Etats-Unis, les élus noirs sont principalement élus là où la population noire est fortement représentée (en général à plus de 40% du corps électoral). En France, ce sont le plus souvent les scrutins de liste (aux élections municipales principalement) qui sont le point d’entrée en politique des candidats issus des minorités visibles. L’impossibilité de découper des circonscriptions électorales pour faire élire à coup sûr tel ou tel représentant de telle ou telle minorité est une différence essentielle avec les Etats-Unis dans la manière de constituer peu à peu un vivier d’élus (conseillers, maires, représentants, gouverneurs…) issus de ces minorités qui vont pouvoir ensuite concourir pour d’autres élections locales ou nationales.
Deuxième différence fondamentale : on a privilégié en France comme forme d’action volontariste pour transformer la représentation politique, le critère identitaire du genre (et non celui de l’appartenance ethno-raciale) à travers le principe de la parité. Ce qui a conduit à deux conséquences majeures. D’une part, la grande majorité des personnalités issues des minorités visibles qui ont accédé à un mandat politique (notamment national) en France sont des femmes ; elles ont en l’occurrence bénéficié des dispositifs de la parité plutôt que de leur appartenance à telle ou telle minorité ethno-raciale. D’autre part, il est illusoire de prétendre vouloir (comme le font pourtant régulièrement les partis politiques français) renouveler le personnel politique à partir de plusieurs critères identitaires simultanément (âge, genre, ethno-racial) dès lors que le cumul des mandats n’est pas strictement limité voire interdit.
Troisième élément de différence avec la situation américaine : la nature des partis politiques et son influence sur le processus de sélection des candidats aux élections. Dans le cas français, les partis sont des organisations à la fois permanentes (elles contribuent fortement à la vie politique entre les périodes électorales) et très faibles du point de vue du nombre d’adhérents – et encore plus en termes de militants actifs. Il s’agit en fait de clubs d’élus fermés qui fonctionnent suivant le double principe de la cooptation des entrants et d’un apprentissage corporatiste très codifié et étalé dans le temps. L’exemple le plus récent, celui du nombre de votants pour le Congrès de Reims du Parti socialiste (un peu moins de 130 000) est tout à fait symptomatique de ces partis français qui ne peuvent en aucun cas prétendre, du fait de ce défaut de « masse critique », représenter la société française dans sa diversité sociodémographique. Alors qu’aux Etats-Unis, les partis politiques sont des structures souples, peu centralisées (il y a ainsi autant de partis démocrates que d’Etats), qui ne se mobilisent véritablement qu’au moment des élections. Ainsi le processus des primaires, indispensable à ce genre d’organisation, conduit-il des millions de personnes à voter sur tout le territoire et favorise-t-il l’émergence de personnalités non centrales voire marginales par rapport à l’establishment des partis.
Un Obama français ne deviendra donc possible – ou plus exactement le système politique permettra à un tel candidat de montrer ses qualités personnelles et de se présenter à ses concitoyens avec un chance de l’emporter – que lorsque l’on aura à la fois trouvé un moyen acceptable, sur le long terme, de constituer un vivier suffisamment important de responsables politiques locaux issus des « minorités visibles » ; lorsque l’on aura, collectivement, choisi de ne pas privilégier tel critère identitaire plutôt que tel autre dans la compétition politique (aujourd’hui clairement le genre féminin pour les nouveaux entrants et la « séniorité » pour ceux qui sont déjà en place) ; et lorsque les partis auront changé de nature, lorsqu’ils ne se contenteront plus d’être des clubs d’élus cumulards qui cooptent au compte-goutte leurs successeurs pour devenir de larges mouvements en prise avec la société qu’ils prétendent représenter.
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