Acte IV
Dimanche :
Séance de travail dans la salle du petit-déjeuner. Nous sommes deux à bosser sur nos ordinateurs. Ça sent déjà le départ, les valises s’accumulent dans le hall car mon hôtel est le point de rendez-vous des bus qui nous emmèneront à la gare.
Mes deux tables rondes sont programmées dans l’après-midi, je fais connaissance avec Patrice Pluyette dont j’ai adoré le livre La traversée du Mozambique par temps calme (Seuil) qui pourrait remporter le prix Goncourt des lycéens. Sur scène aux côtés d’Alexandra Lapierre et Jean des Cars, il a l’air perdu dans ses étoiles, j’ai presque des remords à le ramener parfois à la réalité du débat, je dois prodigieusement l’ennuyer avec mes questions. « Pas du tout, au contraire..., me dira-t-il dans le train du retour, mais je n’avais pas envie d’écouter mes voisins, ce n'est pas le genre de livres qui me passionnent».
18h30 : le train s’ébranle sur les rails. Nos visages défaits, nos mines de toutes les couleurs, blanches malades, cernées noires, rouges essoufflées, barbouillées, le maquillage inexistant, dessinent un joli kaléidoscope. Une soupe nous est servie alors que le train tangue comme un bateau sur une mer démontée. Les uns chuchotent, d’autres plongent dans un sommeil léger et réparateur. On se lève, on s’échange les places, on se croise, on se sourit, on grimace.
Grande discussion avec Patrick Goujon sur les couples d’artistes. Comment vivre lorsque les deux écrivent, publient et en prime dans la même maison ? Comment préserver la vie privée de chacun, protéger l’union, cloisonner les existences publiques, gérer les promotions, les salons, le succès et l’insuccès. J’évoque Paul Auster et Siri Hustvedt, il pense à Olivier Adam. Qui a dit que les histoires d’amour étaient faciles ? Personne à ma connaissance.
Hubert Artus nous apprend qu’il se rase normalement tous les jours, au pire tous les deux jours. Je l’ai écouté mener une discussion avec Michel Le Bris, sur son roman La beauté du monde, enfin un journaliste qui apparemment a pris le temps de lire cet énorme pavé (688 pages) et en parle avec passion. Sa ferveur m’a donné envie d’aller me plonger dans le livre.
Qui aura le Goncourt ? Si Jean-Baptiste del Amo (*) l’obtenait je pourrais me targuer d’avoir dîné et voyagé en face du lauréat. Sinon, il restera au moins un souvenir agréable d’un auteur qui savoure sa chance, aime profondément écrire, et que le succès rapide n’a pas écrasé de sa vanité.
Les langues se délient, les commentaires fusent, avec plus ou moins de tact, une remarque prononcée trop forte, on a vite fait d’oublier que tout le monde s’épie un peu, beaucoup, passionnément… la fraternité des lettres existe-t-elle ? Je n’aurais pas assez de ces trois jours pour y répondre. Un autre voyage, un autre salon, d’autres conversations seront nécessaires.
Le train est arrivé, les passagers s’éparpillent sur le quai, telles des pastilles échappées d’un paquet de bonbons. Je roule, ils roulent, nous roulons…
THE END
(*) Jean-Baptiste del Amo n'a pas eu le Goncourt qui a été attribué à l'auteur afghan Atiq Rahimi pour "Syngué sabour" publié par P.O.L.