"À l'heure où le Parti socialiste est en passe de devenir le parti solipsiste, Mme Royal apparaît comme la moins usée de ses caryatides. Par élimination, sa juvénilité la porte. De surcroît, elle a situé ses dernières homélies sur une ligne moins centriste et plus à gauche. Quand la Babylone de Wall Street brûle, les actions du maximalisme oratoire remontent. Si on met un peu de Che Guevara dans le Rexona, les militants applaudissent."
[Solipsisme : dixit Wikipidia, c'est : l''attitude du sujet pensant, pour lequel sa conscience propre est l'unique réalité, les autres consciences, le monde extérieur n'étant que des représentations ou : une théorie philosophique qui par l'abstraction du monde externe ou des perceptions qui en proviennent, place l'individu seul devant la seule connaissance de sa propre existence.]
«Obamette» casse la baraque PS
Ségolène Royal ressuscitée au milieu de l'ossuaire de Solférino ? Une motion à 29 % pour troubler l'anisette des compromis radicaux-socialistes ? Une fois encore, la madone poitevine est appelée par des voix, celles que les militants du PS lui ont accordées dans la perspective de leur congrès. On sent qu'il règne dans certaines factions du bunker rose un effroi comparable à celui que déclencherait une apparition de la déesse Kali dans une foire ovine du Gujarat. Mme Aubry à l'ombre de son beffroi, M. Delanoë sous les cloches de l'église Saint-Gervais ne savent plus à quel Jules Guesde se vouer.
On la disait lessivée, en passe de devenir l'émule de Valérie Lemercier dans des shows évoquant l'extase d'une tribu maya en période d'éruption solaire. On croyait à l'insolation, c'était un Brumaire. Après avoir fait son Zénith, Ségolène reste en lévitation. On songe à l'héroïne de Hécate et ses chiens, à laquelle Paul Morand prêtait «une magnifique capacité d'amnésie et de redressement». Un fantôme blanc parcourt de nouveau les couloirs de la maison des esprits. Quelles forces ont donc concouru à cette rematérialisation de l'icône ?
Une réponse simple serait celle de la théologie négative : les preuves de la divinité sont à trouver dans l'absence de ce qui la nie. Mme Aubry, repoussant à la balayette les cendres des 35 heures sous un tapis de marque Mauroy, n'en a pas vu les bords grignotés. Que la bourgmestre de Lille se soit alliée à M. Fabius n'a pas plaidé pour un renouvellement des cadres. Il est vrai que faire prendre la mayonnaise dans un cornet de frites est une opération délicate. Résultat : un revers de la faction de style vieux-Mitterrand. Quant à M. Delanoë, il aurait pu trouver plus moderne que la double béquille fournie par MM. Lionel Jospin et François Hollande. Rouler en Velib' est une chose, mais les roulettes d'appoint ne garantissent pas l'équilibre au moment où Ségolène Royal, en pleine phase karmique, passe au stade du Grand Véhicule. À l'heure où le Parti socialiste est en passe de devenir le parti solipsiste, Mme Royal apparaît comme la moins usée de ses caryatides. Par élimination, sa juvénilité la porte. De surcroît, elle a situé ses dernières homélies sur une ligne moins centriste et plus à gauche. Quand la Babylone de Wall Street brûle, les actions du maximalisme oratoire remontent. Si on met un peu de Che Guevara dans le Rexona, les militants applaudissent.
Derrière cette phraséologie, on pourra détecter une alliance très opportune entre nostalgie et pragmatisme. La peinture de la campagne présidentielle 2007 n'a pas encore séché. Quoi qu'on en pense, Ségolène Royal a fait rêver dans son camp. Beaucoup regrettent désormais la piste d'envol de ses meetings aériens. Nurse Ségolène, encore une piqûre d'espoir ! À cette intrépide candidate, experte en loopings politiques et illusions lyriques, se sont adjoints des hommes qui représentent, dans l'écheveau des Atrides socialistes, le fil de l'humanisme modéré. Gérard Collomb, le maire gréco-latin de Lyon, et Manuel Valls, le Bonaparte à hélices d'Évry, sont avec Vincent Peillon les figures d'un modérantisme local et réfléchi. Le marxisme désagrégé fait le lit de la société des agrégés. Ainsi, la flamboyance déclarée de Ségolène Royal fédère des hommes installés dans le cercle de la raison. Sous la bannière de Jeanne d'Arc, Édouard Herriot s'avance à pas comptés.
Il faudrait enfin - c'est une hypothèse - étudier une possible interaction entre l'Illinois et le chabichou. Barack Obama vient d'être élu président des États-Unis. Il suffisait d'écouter son discours de Chicago, la nuit de son sacre, pour en saisir les imparables ressorts : sa jeunesse, son providentialisme, l'élection vue comme un acte de nouvelle alliance, un renouvellement de la «promesse» américaine, mais avec le concours télématique des petits prodiges de Facebook. C'est le registre des prédicateurs et des pionniers disposant leurs chariots en cercle, les yeux tournés vers un firmament hollywoodien. Ségolène Royal, dont la fibre télévangéliste n'est plus à démontrer, a une façon de faire de la politique qui relève de la transcendance atténuée par la République. Et c'est par la face Internet qu'elle a gravi le mont Guy Mollet.
Parce que son tempérament militaro-New Age l'y porte, la présidente de la Région Poitou-Charentes, riche en pâturages et siège d'un grand festival de la bande dessinée, est peut-être en passe de décontaminer le PS de sa vieille grammaire faite de motions de synthèse accouchées au cervelas. Plus que jamais, un refoulé religieux travaille ce parti laïc. Le Grand Autre cher à Jacques Lacan flotte sur les oraisons de Marie-Ségolène. On la tenait pour une Fantômette de la Gâtine vendéenne. Et si cette Alice en tunique bleu turquoise était, au pays des socialistes, une Obamette en passe de casser la baraque ?
(c) M.Lambron, Le Figaro