Raphaël Zarka, Les Formes du repos #1 (Rhombi), 2001. Light-jet, 70 x 100 cm. Courtesy galerie Michel Rein, Paris
La Fiac et ses petites sœurs Slick et Show Off (d’un niveau bien moindre que la précédente, malgré une meilleure visibilité) ne s’en sont pas si mal sorties, malgré la crise et la mise en garde proférée par les galeristes participant à la Frieze Art Fair de Londres. Comme l’analyse Harry Bellet dans Le Monde, « la spéculation semble terminée. Voici revenue l’heure des collectionneurs. » Car si les flots d’argent qui depuis une dizaine d’années imbibent le monde de l’art commençaient sérieusement à dégrossir, peut-être l’achat d’œuvres d’art contemporain ne serait plus entrepris dans une logique d’investissement et de recherche de profit à moyen terme, mais, comme cela l’était aux premiers temps du système marchand-critique, dans un rapport retrouvé entre le collectionneur et l’œuvre, l’amateur et l’objet, un homme et la pensée d’un autre homme.
Combien d’œuvres de la collection François Pinault sont conservées dans des caisses, elles-même disposées dans des entrepôts à mille lieues de leur propriétaire ? Quel rapport entretient ce grand collectionneur, dont les achats sont contractés par d’autres, notamment Caroline Bourgeois, ex-directrice du Frac Ile-de-France, avec les objets de sa collection ? Quel est la substance de son amour de l’art ?
Avec cynisme, l’artiste Marc-Antoine Léval, déroulant une bannière « François Pinault, buy my work » sur le fronton du Grand Palais lors de la Fiac, pointe du doigt la précarité des artistes et le rôle supposément salvateur du collectionneur. Ce ne seraient plus aujourd’hui les institutions qui « font » les artistes, encore moins les critiques *, mais bien le marché…
Tania Mouraud, La Fabrique, installation vidéo, 2005. Courtesy galerie Dominique Fiat, Paris
C’est oublier cependant que parallèlement au grand barnum auquel on assista la semaine dernière subsiste un vrai « amour de l’art », sensible en filigrane au détour de certains stands, au fil de certaines discussions avec des galeristes, ou par la rencontre avec des artistes — si tant est que le cerveau du visiteur parvienne à digérer les centaines d’informations reçues. Parfois ce type de manifestation permet de révéler ne serait-ce qu’une œuvre, largement reconnue par de nombreux commentateurs comme majeure : cette année, ce fut sans doute l’installation vidéo de Tania Mouraud, La Fabrique, chez Dominique Fiat — œuvre totale où son et image forment un véritable environnement, œuvre cinétique, œuvre documentaire, travail sur la figure humaine… une œuvre multipistes.
Didier Marcel, Coucher de soleil, 2005. Courtesy galerie Michel Rein
Par ailleurs, par les deux prix qui sont décernés chaque année au moment de la Fiac, le prix Marcel Duchamp et le prix de la Fondation Ricard, sont désignés aux amateurs et collectionneurs français et étrangers des artistes français « à suivre ». Si l’installation vidéo de Laurent Grasso (lauréat du prix Marcel Duchamp, décerné par les membres de l’Adiaf, collectif de collectionneurs) à la Cour carrée (dans un dispositif réitéré de pièce noire aux murs dentés, une vidéo montre un rocher s’élever du sol puis retomber) n’a pas vraiment convaincu en raison de son manque de perspective, celle de Didier Marcel, Coucher de soleil, marquait le spectateur par sa réinterprétation du champ spatial de l’œuvre d’art, sa réflexion sur la sculpture et le paysage, ou encore sa référence au Champs de blé aux corbeaux de Van Gogh.
Plus audacieux est apparu le choix du prix de la Fondation Ricard, remis au jeune artiste Raphaël Zarka, auteur de sculptures fonctionnant comme des référents à des formes réelles et généralement fonctionnelles, mais inconnues ou oubliées. La travail de Zarka, héritier de l’esthétique rationnelle des Lumières, est sec, froid, complexe, monumental, utopique. Une bouffée d’air frais. Ne l’achetez pas Monsieur Pinault !
* Comme le soulignaient récemment Eric Troncy, dans la revue Frog n°6, et Gaël Charbau dans Particules n°21.