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Acculturation, élites et lassitude

Publié le 09 novembre 2008 par Hoplite

Il y a quelques mois, j'écrivais ceci:

Je crois qu'il faut regarder les choses en face. L'acculturation, c'est-à-dire le changement d'identité culturelle ne peut se produire que lorsque la culture d'accueil est suffisamment désirable ou puissante pour s'imposer et que ceux qui arrivent ont le désir de s’approprier cette culture. La plupart des nouveaux européens sont issus de la civilisation musulmane et s'ils adoptent certains traits de la modernité occidentale, ils restent profondément des musulmans. Je ne peux m'empêcher de me mettre à leur place: l'occidental que je suis deviendrait-il un oriental si je devais vivre en terre d'islam? Très probablement non (je ne parle pas de religion ici, mais de façon de vivre, de culture). 
Je crois que de nombreux décideurs nationaux et européens -ces élites mondialisées et anomiques, pétries de tiers-mondisme et de culpabilité- sous-estiment l'importance de l'enracinement culturel, civilisationnel et continuent à considérer les hommes comme des variables d'ajustement démographique ou économique sans histoire ni attachement, des citoyens du monde. Pour notre malheur et pour le leur. D'autres décideurs, savent qu'un homme ne change pas ainsi d'identité (surtout lorsque celle-ci est l'islam) et envisagent donc plus ou moins paisiblement la perspective d'un séparatisme européen à grande échelle, sachant qu'immanquablement ces nouveaux européens resteront fidèles à leur culture première (leur statue intérieure comme disait François Jacob) et ferons donc sécession à un moment ou à un autre. Sécession ethnique, sociale, culturelle, territoriale, religieuse.
La diatribe récente d'Erdogan (totalement politiquement incorrecte au regard de la propagande irénique de l'intégration sans douleur de Bruxelles) est intéressante dans ce contexte car elle montre sans fard l'attachement viscéral d'un homme à sa culture, et sa crainte de voir des Turcs devenir des européens, c'est-à-dire perdre leur identité Ottomane. Tout homme raisonnable devrait être d'accord avec la vision réaliste - la weltanschauung- d'Erdogan.

Or l'identité européenne, qui devrait être défendue avec la même ardeur, la même foi, par nos "élites", et qui devrait se projeter dans un corpus de valeurs non négociables par les nouveaux migrants désireux de s'établir en Europe, semble ne plus exister. La dimension culturelle, historique, civilisationnelle de notre identité est constamment niée ou dépréciée par ceux-là mêmes qui devraient la promouvoir; pour de multiples raisons. N'importe quelle culture primitive ou seconde à droit de cité, notamment en France, mais curieusement notre culture occidentale, européenne, est seule méprisable et indigne d'être portée et enseignée avec fierté.
On me rétorquera que cet état de fait est conjoncturel, que notre histoire récente, à nous européens, est trop dramatique (guerres civiles européennes, décolonisation, totalitarismes, etc.) pour que nos petits clercs pétris d'ethno masochisme puissent apprécier son génie propre

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sur la longue durée. Certes, nous sommes d'accord là dessus. On me dira encore que l'histoire récente des pays de l'est européen recouvrant leur culture après un demi-siècle de colonialisme soviétique montre assez à quel point une civilisation ne se perd point facilement. D'autres encore évoquerons l'héroïque reconquista chrétienne de la péninsule Ibérique après sept siècles de colonisation arabo-musulmane...et nous sommes d'accord la dessus: notre identité européenne n'est sans doute pas prés de se perdre, même si elle n'est pas reconnue, même si elle est méprisée, par nos dirigeants.


Pour revenir aux mots du leader turc Erdogan, et considérant que cette acculturation n'est pas possible au plus grand nombre, la question clef, dans nos pays démocratiques soumis à la loi de la majorité, devient l'importance des populations non européennes au sein de notre continent, le nombre. S'il est difficile aujourd’hui de considérer comme le faisait le Général De Gaulle que les Européens sont un peuple de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne, c'est en raison de la rapidité et de l'importance des transformations démographiques et culturelles à l'échelle continentale... Sept siècles, c'est un peu long.

« « Le plus grand péril qui menace l’Europe, disait encore Husserl, c’est la lassitude. » La perte d’énergie, la fatigue d’être soi. Le désir d’oubli de soi, non pour retrouver une innocence perdue qui pourrait être la condition d’un nouveau départ, mais pour s’endormir plus aisément dans le nihilisme bruyant, le repli sur la sphère privée et le confort narcissique de la consommation. Pour Carl Schmidt, la figure de Hamlet représentait l’extrême difficulté qu’il y a à trancher, alors même que des questions existentielles sont en jeu. L’indécision résulte d’une inadéquation de la volonté à la réalité : lorsque la volonté est indécise, il n’y a plus avec le réel que la possibilité d’une rencontre. L’histoire, elle, continue à se déployer à l’échelle planétaire, de par son propre jeu ou sous l’effet de la volonté des autres. La politique, c’est l’histoire en action. Mais où est le grand dessein politique, qui pourrait réunir et donner des raisons d’espérer. Etre ou ne pas être ? L’Europe, aujourd’hui, c’est Hamlet. » (Alain de Benoist, Editorial Eléments été 2007)

La lassitude, la fatigue, le désir d’oubli de soi. Puis le nihilisme bruyant, le confort narcissique de la consommation…tellement vrai.

En relisant ces quelques lignes, je me trouve un peu naïf au sujet de nos élites Européennes. Au fond j’imaginais des individus soit ignorants des réalités soit très au courant des réalités mais bien disposés à ne pas sortir du mainstream politiquement correct pour ne pas nuire à leur carrière. Ce qui reste sans doute valide pour un certain nombre. Mais je sous estimai complètement l’absence totale de sentiment d’identité, d’attachement, d’enracinement à une culture, une terre ou ne serait-ce que des traditions. Et plus encore la détestation et la diabolisation absolue de toute pensée ou sentiment de ce genre au regard de cette idéologie du Même qui leur tient lieu de corpus doctrinal.

En ce sens, le divorce définitif entre, d’un côté, ces élites anomiques acquises à la mondialisation et toutes puissantes entourées de leurs cours d’experts et, de l’autre, les peuples européens encore enracinés dans une culture et des traditions populaires, est à la fois éclairant et terrible car il me parait clair, au regard des campagnes successives de diabolisation de tout sentiment populaire et identitaire, que les peuples (pas seulement européens) ont perdu, peut-être définitivement, la possibilité de prendre en main leur destin.

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Récemment, en lisant La condition de l’homme moderne d’Hannah Arendt, j’ai compris à quel point je me trompais, sans doute, dans le sentiment d’une filiation directe entre la civilisation occidentale européenne et la Grèce. Je m’explique. Il est une banalité aujourd’hui de considérer que l’héritage antique Grec et Romain labouré par 1500 ans de christianisme sont à l’origine de notre civilisation occidentale. D’un simple point de vue linguistique, politique, littéraire, artistique, etc.

Mais Arendt montre de façon extrêmement convaincante à quel point cette anthropologie utilitariste et ce culte de l’avoir qui sont l’alpha et l’oméga de nos élites contemporaines se situent aux antipodes de la pensée Grecque. A quel point cette « humanité bourgeoise » (Arendt était fondamentalement anti totalitaire et n’était pas socialiste), ce culte de l’argent, fondateur de la modernité représentent un renversement anthropologique complet par rapport à l’être du citoyen Grec.

J’entends par là que l’homo économicus (ou l’homme psychologique pour Lasch) d’aujourd’hui aurait bien du mal à se reconnaître dans le citoyen grec pour qui le travail-en tant que nécessité- était une valeur éminemment servile donc méprisable, à l’opposé de la vie contemplative ou des activités artistiques. Le travail, caractéristique de la sphère privée, au même titre que l’activité économique renvoyant au niveau de l’« homo laborans » c’est-à-dire au niveau strictement vital et animal de l’utilité. Les activités contemplatives, politiques ou artistiques se confondant au contraire avec le domaine public.

Arendt écrit ainsi que la modernité a progressivement consacré la prévalence du travail et favorisé l’extension de la sphère privée au détriment de la sphère publique ou s’exerce la qualité de citoyen.

« Dans cette société, qui est égalitaire, car c’est ainsi que la travail fait vivre ensemble les hommes, il ne reste plus de classe, plus d’aristocratie politique ou spirituelle, qui puissent provoquer une restauration des autres facultés de l’hommes [non utilitaires]. Même les présidents, les rois, les premiers ministres voient dans leurs fonctions des emplois nécessaires à la vie de la société, et parmi les intellectuels il ne reste que quelques solitaires pour considérer ce qu’ils font comme des œuvres et non comme des moyens de gagner leur vie. »


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