"L'avenir de l'eau", d'Erik Orsenna se lit comme un roman. C'est un voyage autour de la problématique de l'eau, depuis la Chine jusqu'au bureau de Bertrand Delanoe. Qui explique, et interpelle aussi. A lire. Il introduit le concept d'eau virtuelle :
"L’eau virtuelle est la quantité d’eau nécessaire à la production des biens de consommation. Raisonner en termes d’eau virtuelle bouleverse votre vision du monde. Pour produite un kg de lait, il faut 790 litres d’eau ; pour le blé, 1.160 litres ; et pour le bœuf 13.500 : la prise en compte de l’eau virtuelle pourrait orienter le commerce mondial. Quand on manque d’eau, pourquoi exporter de la viande ? Les Amériques, l’Australie et l’Asie du Sud-est sont des exportateurs nets ; les autres parties de la planète importent. L'orientation de ces mouvements ne va-t-elle pas changer, pour tenir compte des évolutions climatiques ? Lorsque, dans certaines régions, par exemple au Maghreb, s’aggraveront, comme il est prévu, les déficits pluviométriques, pourra-t-on continuer d’exporter à tout va l’eau virtuelle des tomates ? L’eau est une ressource locale, et jamais ne verra le jour un marché mondial de l’eau. Mais [cette] logique de l’eau virtuelle permet d’élargir, voire de globaliser les perspectives. Une fois de plus, le virtuel vient à notre secours pour expliquer le réel."
La logique du sushi
L’eau virtuelle est la quantité d’eau nécessaire à la production des biens de consommation. Raisonner en termes d’eau virtuelle bouleverse votre vision du monde.Vous croyez que le Maroc vend des tomates à l’Europe ? En apparence, car c’est surtout de l’eau que le royaume chérifien exporte. Lorsqu’un camion quitte Tanger pour l’Espagne avec, à son bord, 20 tonnes de tomates, il faut avoir à l’esprit qu’au moins cent autres camions l'accompagnent, cent camions-citernes transportant chacun 20 mètres cubes d’eau, les 2.000 mètres cubes nécessaires à ces tomates (le calcul est facile : pour faire sortir d’un hectare 45 tonnes de tomates, il faut apporter à la terre 4.500 mètres cubes d’eau).
Quelques chiffres donnent une idée de ces équivalences. Pour produite un kg de lait, il faut 790 litres d’eau ; pour le blé, 1.160 litres ; pour le porc 4.600 et pour le bœuf 13.500 ! [Ainsi], un habitant des États-Unis au régime alimentaire riche en viande consomme 5.400 litres d’eau virtuelle par jour, alors qu’un végétarien n’en utilise que 2.600. C’est dire si les progrès du niveau de vie vont multiplier la demande en eau. Quand une population ne mange plus seulement du riz mais de la viande elle décuple (au minimum) son besoin d’eau.
La prise en compte de l’eau virtuelle pourrait (devrait ?) orienter le commerce mondial. Quand on manque d’eau, pourquoi, par exemple, exporter de la viande ? Certains organismes, tel le Conseil mondial de l’eau, calculent les flux d’eau virtuelle. On voit que les Amérique, l’Australie et l’Asie du Sud-est sont des exportateurs nets. Les autres parties de la planète importent. L'orientation de ces mouvements ne va-t-elle pas changer, pour tenir compte des évolutions climatiques ? Lorsque, dans certaines régions, par exemple au Maghreb, s’aggraveront, comme il est prévu, les déficits pluviométriques, pourra-t-on continuer d’exporter à tout va l’eau virtuelle des tomates ?
L’eau est une ressource locale et jamais ne verra le jour un marché mondial de l’eau ! Mais la logique du sushi [la globalisation… p.392] permet d’élargir, voire de globaliser les perspectives. Une fois de plus, le virtuel vient à notre secours pour expliquer le réel.
(c) Erik Orsenna, Fayard, 2008