Entretiens, formations, ateliers, lectures.. Depuis le lancement d'Entreprise 20/20, j'écoute experts et néophytes, j'explore, je sensibilise à la réflexion prospective... Ce travail ayant mis mon cortex en ébullition, je vous livre dans le désordre quelques bouillonnements. Prenez-les comme des touches d'un tableau pointilliste qui va évoluer avec les apports du travail. Et ne vous choquez pas, si certains voient les prospectivistes comme des crémiers qui font tout un fromage de leurs camemberts.
Pessimisme des jeunes
Pour les jeunes, l'horizon des années 2020 est plutôt sombre. A cette époque, la planète sera dans un état lamentable, mais il sera trop tard pour la sauver. Ils travailleront de manière intensive et stressante dans une entreprise qui ne leur laissera pas le temps d'avoir une vie privée. Ils vivront seuls et ne communiqueront que par écran interposé. Les entreprises seront managées de manière autoritaire et les nouvelles technologies contribueront au stress. Soit elles les traceront et violeront leur intimité, soit elles provoqueront de légendaires crashs et crises.
L'impression est qu'ils ont comme dit Bergson : "le pessimisme naturel de l'intelligence" et ne savent pas où trouver "l'intelligence de la volonté".
Durable mais pas différent
L'entreprise de demain sera durable ou ne sera pas. Tout le monde est d'accord avec cette affirmation politiquement correcte. Mais de là à imaginer que pour pérenniser l'entreprise et a fortiori la planète, il faudrait peut-être remettre en cause sa manière de travailler et changer ses habitudes, il semble avoir un fossé, voire un gouffre.
Quand, par exemple, j'évoque le développement du travail à distance (où la France avec 7% de télétravailleurs est le plus mauvais élève européen) qui pourrait alléger la facture énergétique, la réponse est : "C'est sûr, il y a tant de choses à faire" et sous-entendu qu'on ne va pas faire. La création d'espaces de coworking de proximité financés par les entreprises pour donner aux collaborateurs de l'entreprise la possibilité de travailler près de chez eux ne génère guère plus d'enthousiasme.
Nouvelles technologies, le malaise
Question développement des nouvelles technologies dans l'entreprise, cela respire le malaise. Les entreprises ont le pied sur le frein tout en se rendant parfaitement compte que le véhicule s'emballe et qu'ils ne peuvent plus maîtriser.
Quand on gratte la couche de la rugissante performance technologie, les managers font trois constats :
Dans ce contexte, les collaborateurs ont des grandes difficultés à s'interroger sur les outils de l'entreprise de demain. Pour eux, demain, c'est quand ils auront au boulot des outils aussi performants qu'à la maison qui leur permettront d'être vraiment efficaces.
Demain est de plus en plus aujourd'hui
Plus on a de difficulté à vivre le quotidien, plus la notion de futur se raccourcit. Pour s'en convaincre, il suffit de demander à quelqu'un qui est gravement malade ou n'a rien dans son assiette, ce qu'il fera dans un mois ?
A cause des crises, les entreprises réfléchissent de plus en plus à court terme. Même si elles ont des plans stratégiques à 2015, 2020, 2025, elles ne parlent au maximum que des deux ou trois prochaines années. Dans ce contexte, les collaborateurs ont des difficultés à imaginer leur entreprise de demain. Logique, ils ne sont plus là, car l'entreprise n'existera plus.
Il faut donc se battre pour faire comprendre que réfléchir à demain, c'est envisager moult possibles et acquérir une souplesse d'esprit qui permet de composer avec les imprévisibles. Même dans les petites entreprises, l'esprit paquebot, continue à dominer. On fonce et quand on voit un iceberg, on soupire contre cette fatalité, car on n'a pas le temps de changer de direction. L'esprit "voilier" qui oblige à savoir où l'on veut aller pour profiter des vents favorables et permet de changer de bord facilement semble encore peu fréquent.
Les femmes débordées
J'ai contacté des dizaines de femmes afin qu'elles me donnent leur vision de l'entreprise de demain. A chaque fois, la réponse a été la même : "Le projet m'intéresse, mais je suis débordé." A mon sens, elles le sont vraiment, car elles continuent à jongler entre le boulot, les enfants, la maison, la famille et qu'elle n'ont pas de temps à consacrer pour ce qui n'est pas essentiel à leurs yeux.
L'intérêt pour la réflexion prospective est minime, car elles voient l'exercice comme des extrapolations statistiques peu sexy : "Les prospectivistes, pour moi, ce sont des crémiers qui te font tout un fromage de leurs camemberts", explique l'une d'entre elle.
Quand j'explique à toutes ces intelligentes que la prospective, c'est un gâteau à trois étages. On a une couche attention aux signaux faibles et divers changements prévisibles (problématiques sociétales, développement technologiques, une deuxième métissage (on croise les données, informations, réflexions), une troisième imagination (on ajoute une série d'impossibles qui s'avéreront peut-être demain ne pas l'être), elles commencent à avoir envie d'y goûter. Mais en attendant la nouvelle cuisine du futur soit à l'honneur, la réflexion sur le demain de l'entreprise reste éminemment masculine. Enfin, je vous rassure, je ne désespère pas.
Des métiers bétonnés
Mon objectif est d'inciter à une réflexion collective sur le futur par entreprise, métiers, domaines d'activité... Je pense qu'il faut mettre le virus de la créativité dans beaucoup de salades pour que demain tout le monde ait envie d'inventer ensemble le futur et ne plus le subir.
Dans mes recherches, j'ai découvert quelques métiers bétonnés. Au hit parade de l'immobilisme, je nomme gagnant les métiers du droit et en particulier la profession d'avocat. Nos juristes semblent assis sur leur code de Napoléon et pensent encore qu'il est assez subtil pour régler tous les nouveaux litiges liés au déferlement des nouvelles technologies. Quand je pose la question posée par le vol d'objets numériques : "Est-ce que l'on peut considérer qu'il y a vol quand la personne possède encore l'objet volé ? (duplication possible de tous objets numériques), mes interlocuteurs observent un blanc. Mais il en faudra sans doute encore des centaines d'autres avant que cette profession envisage de réfléchir à son avenir. Enfin, si vous connaissez des pistes pour entrer dans la forteresse, n'hésitez pas à me les indiquer.