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Pour des archives… C’est du brutal !

Publié le 08 novembre 2008 par Savatier

 Les archives de l’écrivain Albert Simonin, dont le roman Grisbi or not grisbi fut porté à l’écran avec le film mythique Les Tontons flingueurs, viennent d’être remises à la Bibliothèque nationale de France par ses héritiers Marie Hélène Simonin et Françoise Lucas-Simonin. Les chercheurs spécialisés en littérature policière et les amateurs de langue verte se réjouiront que les documents de celui que Léo Malet surnommait le « Chateaubriand de l’argot », mort en 1980, entrent dans les collections publiques.

Né en 1905 dans le quartier de la Chapelle, Simonin, fils d’un fabricant de fleurs artificielles, n’était pas, à l’origine, destiné à une carrière d’écrivain. Ayant quitté la Communale dès l’âge de 12 ans, il effectua une foule de « petits boulots » (électricien, fumiste, vendeur, chauffeur de taxi, etc.) avant de se lancer dans le journalisme. C’est sans doute autour du marbre, dans les salles de rédaction ou sur le terrain qu’il attrapa le virus de l’écriture.

En 1953, il publia son premier roman, Touchez pas au Grisbi !, dans la « Série noire », collection alors dirigée par Roger Nimier chez Gallimard. Ce dernier dira de lui : « Enfin Simonin vint, furtif Furetière (au XVIIe siècle, Antoine Furetière rédigea un dictionnaire de langage populaire) qui remit de l’ordre dans le crime, comme Malherbe l’avait fait dans les vers. » Jusqu’en 1977, Albert Simonin écrivit une dizaine de romans dont l’action se situait essentiellement dans le monde des truands des années 1920 à 1970. Sa verve faubourienne, son sens de la formule et sa maîtrise de l’argot font de ses ouvrages des textes de référence pour qui s’intéresse à ce milieu qu’on appelait alors « le Milieu », et à cette langue riche et imagée. D’une certaine manière, il ouvrit une voie qu’exploitèrent à sa

suite Frédéric Dard, Alphonse Boudard, Antoine Blondin ou Jean Vautrin. Il écrivit en outre un dictionnaire d’argot malheureusement épuisé, Le Petit Simonin illustré par l’exemple (Boudard creusera le même sillon avec son Argot sans peine, ou la méthode à Mimile) et un très amusant Savoir-vivre chez les truands (Arléa-Poche, 276 pages, 9 €), véritable pastiche des très sérieux manuels d’étiquette, dans lequel on peut lire cet avertissement :

« La gaffe, l’impair, le mot blessant, la médisance, l’indélicatesse, sanctionnés dans le monde des caves par un refroidissement des relations, le sont souvent, dans le Mitan, par le refroidissement à zéro du gaffeur, du malotru, de l’injurieux, du médisant, de l’indélicat, et le savoir-vivre chez les truands pourrait plus justement se nommer le savoir-survivre ».

Plusieurs romans d’Albert Simonin furent adaptés au cinéma ; il travailla lui-même au scénario ou aux dialogues d’une trentaine de films (souvent en collaboration avec Michel Audiard), dont certains sont devenus des classiques : Touchez pas au grisbi et Les Aventures d’Arsène Lupin, de Jacques Becker, Le Cave se rebiffe et Le Gentleman d’Epsom de Gilles Grangier, Du mouron pour les petits oiseaux de Marcel Carné, Mélodie en sous-sol de Henri Verneuil, Le Pacha et Les Barbouzes de Georges Lautner. Sa peinture du Milieu ne cède pas à la couleur locale ou à un pittoresque de façade ; jamais dénuée d’humour (parfois noir) elle est criante d’authenticité et de vérité ; Simonin le « Parigot », en fréquentant les personnages qu’il introduisait dans ses romans et ses scenarii, se livrait, à sa façon, à une approche quasi ethnologique. Là réside aussi, sans doute, une partie de son talent et de son succès populaire.

Au sein de sa filmographie, figure naturellement Les Tontons flingueurs, qui sortit sur les écrans en 1963 et reste probablement la plus belle réussite du trio Simonin – Audiard – Lautner. En dépit de sa belle distribution (Lino Ventura en Fernand Naudin, Francis Blanche en maître Folace, Bernard Blier et Jean Lefebvre campant les frères Volfoni, Claude Rich, Robert Dalban…) et de ses dialogues particulièrement comiques, le film fut assassiné par la critique de l’époque ( notamment par Henri Chapier dans Combat ) qui ne jurait que par la « Nouvelle vague »,  avant de devenir l’immense succès populaire que l’on sait. Il est vrai que ce long métrage en noir et blanc, parfaitement restauré dans sa version DVD (Gaumont-Paramount, 20 €) recèle un florilège de scènes et de répliques cultes. J’avais récemment cité l’une d’entre elles à l’occasion d’un article consacré à Ennemis publics de Houellebecq et BHL ; les retranscrire toutes est impossible, car cela reviendrait à reprendre la quasi-totalité du script. On ne peut toutefois évoquer Les Tontons flingueurs sans mentionner la célébrissime scène de la cuisine, où les héros partagent une bonbonne d’alcool de contrebande, et que je continue de trouver hilarante alors que j’ai dû voir ce film plus d’une dizaine de fois.

Parmi les documents du fonds Simonin, se trouvent les manuscrits de ses œuvres, sa correspondance, ses brouillons et ses agendas. Autant dire une mine d’or pour les historiens de la littérature et du cinéma, « yes, Sir ! »


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