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Survival of the fittest : mais c’est quoi, la fitness?

Publié le 07 novembre 2008 par Timothée Poisot

Darwin lui même ne le disait pas, du moins pas avant la 5ème édition de l’Origine des espèces, mais on peut résumer l’évolution au survival of the fittest, c’est à dire à la survie des plus adaptés à leurs conditions de vie (question bonus, sans utiliser google, qui a parlé de Survival of the fittest, et combien de temps après Darwin?).

Concrètement, ça veut dire quoi, la survie du plus adapté? Et, n’ayons pas peur d’être pragmatiques, ça se mesure comment?

J’ai déjà parlé dans différentes notes sur la sélection sexuelle — par exemple — et j’avais probablement généralisé de manière affreuse en vous présentant tout ce concept comme “l’espérance des petits-enfants”, autrement dit, le nombre moyen de descendants de vos descendants.

Cette définition est vraie, mais elle s’applique beaucoup aux grosses bêtes, et peu aux pathogènes (de manière générale, beaucoup d’outils conceptuels en biologie, et en évolution, sont “grosses-bêtes-centrés”, si je puis me permettre l’expression).

Comment on va bien pouvoir appliquer ça aux pathogènes?

Commençons par parler de modélisation, si vous le voulez bien. Puisque la plupart du temps, la fitness (c’est-à-dire le niveau d’adaptation, ou pour être exact, la valeur adaptative) est mesurée via des proxys — des mesures indirectes.

Dans le cas d’un modèle, en revanche, on va pouvoir mesurer cette valeur de manière directe (analytique), puisqu’on sait ce qui se passe (étant donné qu’on en décide…). Pour simplifier les choses, nous allons imaginer le modèle tout simple ci-dessous.

modeleSI.png

Avant que vous ne partiez en courant, laissez moi vous expliquer comment il fonctionne, vous allez voir à quel point c’est trivial.

Pour commencer, les deux grandes cases grises correspondent à deux états possibles pour les hôtes d’un pathogène. S pour sain, et I pour infecté. On pourrait prévoir des résistances (modèles SIR), des phases d’exposition avant l’infection (SEI(R)), et enfin des pertes de résistance (S(E)IR-S), ainsi que d’autres subtilités dont je vous passe le détail. Ce modèle est à peu près pertinent si on regarde de manière très simple ce qui arrive à une bactérie attaquée par un phage qui va la tuer.

Les flèches rouges indiquent des proportions d’entrée ou de sortie des compartiments. Par exemple, le N en entrée indique que le taux de nouveaux individus sains à chaque pas de temps est de NS. En contrepartie, MS individus meurent, et CS sont infectés. Dans les infectés, MI meurent “naturellement”, et VI meurent suite à l’infection. La perte nette en individus infectés, à chaque pas de temps, est donc de (M+V)I.

Les paramètres sont donc : N pour la natalité, M pour la mortalité, C pour la capacité infectieuse, et V pour la virulence.

On peut s’amuser à écrire les équations de ce système, qui donnent, à chaque pas de temps, qui donnent dS et dI en fonction du temps.

\frac{dS}{dt}=S(N-M-C)

\frac{dI}{dt}=SC-(M+V)I

Oui mais, me demanderez vous, qu’est-ce que ces équations qui n’intéresseraient que les matheux de l’assistance si elles étaient suffisamment subtiles pour intéresser qui que ce soit, ont à voir avec notre question de départ, qui je le rappelle, est “qu’est-ce que la fitness pour un pathogène”?

Vous voyez bien que dans notre modèle, il est difficile de prévoir le nombre de “petits enfants” d’une particule virale (imaginez qu’on regarde un bactériophage T4 qui s’amuse à décimer des E. coli). Il faut donc trouver une autre mesure de la fitness pour ce type de ce système. Et c’est la que Anderson & May interviennent.

Nos deux nouveaux amis ont proposé de définir la fitness comme étant le R0, plus communément appelé (par un souci évident d’économie d’énergie quand on communique) le basic reproductive rate, soit “taux de reproduction basique”.

Pour faire simple, il s’agit du nombre de nouveaux cas provoqués par une unique particule infectieuse. Autrement dit, un R0 de 4 indique que chaque virus provoquera quatre nouveaux cas.

Et ce paramètre est assez facile à calculer dans notre modèle. On sait comment varie I au cours du temps, il suffit donc de dire que R0 est

\frac{dI}{dt\cdot\nu}

ou ν est tout simplement le nombre de particules virales présentes à un temps t. Il se trouve, me ferrez vous remarquer, qu’il n’existe pas de variable ν dans mon modèle. En effet, si on peut calculer le nombre total d’hôtes (S+I), il n’est pas possible de calculer ν de manière explicite.

J’ai fait le choix de ce premier modèle parce qu’il est facile à représenter graphiquement. En utilisant un modèle ou on exprime le nombre de particules virales de manière explicite, on peut avoir une définition plus correcte de la fitness. Je tiens à prévenir que ça va devenir plus délicat à suivre, d’un point de vue mathématique, si ça fait longtemps que vous n’avez pas pratiqué…

Construisons un modèle qui nous expliquera comment le nombre de bactéries et de virus évolue au cours du temps.

Pour les bactéries, c’est simple, on va résumer ça à

dB/dt = capacité à exploiter la ressource - mortalité liée au virus

Et pour les virus, ça devient un peu plus compliqué, mais rien de bien grave :

dV/dt = production de descendance - compétition - dégradation des particules virales

Ca ressemble furieusement au modèle sur lequel je travaille en ce moment, et dont les équations ressemblent (vous avez la version très light) à

\frac{dB}{dt}=\gamma\frac{R\cdot B}{R+K}-\phi\cdot B\cdot V

\frac{dV_{i}}{dt}=\left(\beta\cdot\phi\cdot B-\frac{V}{V+C}-\alpha\right)\cdot V_{i}

Laissons tomber la partie concernant dB/dt, pour nous concentrer sur les termes de dV/dt (puisqu’on veut la fitness du pathogène). Rien de très compliqué, mais identifions un peu à quoi ils correspondent.

β est le nombre de particules virales produites à chaque génération. φ est la capacité à exploiter les bactéries, α est la mortalité naturelle des virus, et C est une constante qui gère le niveau de compétition dans la population. L’indice i indique qu’on considère plusieurs souches de virus, vous allez vite comprendre en quoi c’est important.

Si on revient à ce que je vous ai dit d’Anderson & May, vous allez me dire que calculer R0 est facile, puisque ça revient à écrire

\frac{dV_{i}}{dt\cdot V_{i}}

soit

R_{0}=\beta\cdot\phi\cdot B-\frac{V}{V+C}-\alpha

Seulement, vous êtes des lecteurs attentifs, et des biologistes de grand talent, et vous aurez remarqué qu’il y a un léger problème dans cette formulation : les termes “non adaptatifs”. Quel que soit l’adaptation du virus à sa bactérie, les termes de mortalité naturelle et de compétition ne changent pas.

Vous vous replongez alors dans la lecture des papiers d’Anderson & May (attention toutefois, certains sont de May & Anderson!), pour vous rendre compte qu’ils avaient déjà pensé à ce problème : le R0 se calcule en absence de contraintes de type densité-dépendance, c’est à dire en excluant les termes de compétition. Pour être encore plus exact, et je ne le précise que pour faire frissonner de manière quasi érogène la fibre théoricienne qui sommeille en chaque biologiste, le R0 ne tient compte que de la valeur reproductive nette sensu Fisher. Pour les non-Fisheriens, ça veut dire qu’il faut aussi enlever α; mais ça fait toujours cultivé de placer un sensu, ça fait tout de suite “celui qui maîtrise”. On est peu de choses.

Donc, on finit par écrire

R_{0}=\beta\cdot\phi{\cdot}B

Suis-je satisfait de cette notation?

Oui, elle est simple, et je peux calculer mon R0 sans problème! Mais biologiquement, qu’est-ce qu’elle signifie?

Cette valeur adaptative est celle qui existe dans “le monde des bisounours”, en absence de compétition. Dans la vraie vie, et c’est pour ça que le modèle que je vous présente permet d’avoir plusieurs souches, vous allez être en compétition pour la ressource avec les autres.

Et il y à la une question importante : qu’est-ce qui est signifiant? La valeur adaptative “potentielle” (le R0 d’Anderson & May), ou celle “accomplie”, qui tient compte de la compétition? Autrement dit, qu’est-ce que ça veut dire, être the fittest?.

Je ne vais pas répondre ici. On pourrait discuter des heures entières sur ce point, et ce n’est pas l’objectif de ce billet — je peux vous le divulguer maintenant : comprendre que ce qu’on mesure est important, mais que la façon dont on le mesure l’est au moins autant — du tout. Mais la discussion est ouverte en commentaires!


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