Sarkozy et l’Eurafrique : Un nouveau Président ou un Président nouveau ?

Publié le 27 juillet 2007 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com

La « voie droite » et les « sentiers obliques »…

EDITORIAL RELATIO par Daniel RIOT 

Eurafrique… Joli programme. Vieux mot, déjà. Lancé par Léopold Sedar SENGHOR  au Conseil de l’Europe à Strasbourg, à  la fin des années 50 et illustré dans  une communication à l’Académie des sciences morales et politique en 1973  qui, aujourd’hui encore, ferait un beau programme d’action pour un chef d’Etat soucieux d’entrer dans l’Histoire et d’y laisser une marque… "Eurafrique et partage" !

Eurafrique ! Ce  serait forcément   mieux que « Françafrique »  devenu synonyme de tout ce que nous n’aurions jamais du laisser faire. Et de tout ce qui nous colle aux mains sales : le néo-colonialisme,la corruption, le clientélisme, le parasitisme, la violence, les gaspillages, tous ces maux (parmi d’autres) transformés en mots par Sarkozy dans son discours de Dakar. Comme disait SENGHOR, le Sage, « Oui, Seigneur, pardonne à la France qui dit bien la voie droite et chemine par les sentiers obliques »…

La « voie droite », Sarkozy prétend la suivre, avec un langage clair. Mais ne suit-il pas des sentiers bien  « obliques », comme ses prédécesseurs ? Son discours de Dakar qui se voulait « franc » pêche par quelques ambiguïtés… Vis-à-vis de notre histoire nationale, d’abord : «  La colonisation fut une très grande faute »…

Pour quelqu’un qui ne veut en rien cultiver la repentance, voilà un raccourci bien chargé de pêchés… Rien à dire sur les dénonciations de l’esclavagisme et   de la traite négrière qui furent effectivement des « un crime contre les Africains, ce fut un crime contre l’homme, un crime contre l’humanité toute entière ». Pourquoi le redire, d’ailleurs ? Faut-il encore convaincre quelques esprits ? 

Mais la  colonisation ?  Ce n’est pas elle qui doit être mise en procès. Même si elle impose un « droit d’inventaire »… La colonisation n’est qu’ un processus historique, un fait d’Histoire, une phase de l’évolution de l’Humanité, avec ses vertus et ses vices.

Ce n’est pas  « la colonisation » qui  « détruisit chez le colonisé l’estime de soi et fit naître dans son coeur cette haine de soi qui débouche toujours sur la haine des autres ». Ce sont des colonialistes, des colons, des souteneurs d’exploiteurs, des adeptes de méthodes et de philosophies d’action, des acteurs et des profiteurs d’un système politico-économique que condamne notre humanisme  si bien proclamé.

Dénoncer ainsi « la colonisation », c’est s’attaquer à un « mal », comme à une abstraction,  et non faire cet « effort de mémoire » qui entraîne une réflexion sur des maux  précis et concrets, donc un « devoir » de remises en cause.

S’abriter ainsi derrière une condamnation verbale, formelle presque virtuelle à force d’être générique,  c’est éviter de devoir répondre aux vraies questions qui d’ailleurs sont plus du ressort des historiens que des politiques : pourquoi tant de  tragédies dans les colonisations ? Pourquoi tant  d’échecs dans  tant de décolonisations ? Et pourquoi une telle persistance de l’esprit colonial, des réflexes impérialistes, des pratiques néo-colonialistes ?

C’est ce néo-colonialisme d’aujourd’hui qui est l’affaire des politiques d’aujourd’hui. Et c’est lui qui, même à travers les plaies d’un « passé qui ne passe pas », explique bien de ces sentiments qui nous empêchent de « regarder ensemble vers l’avenir »…

Anne-Marie Mouradian voyait juste dans l’une de ses récentes  chroniques sur RFI : les Chinois qui progressent tant en Afrique (et pas toujours pour le meilleur, au Darfour, par exemple) ont banni de leur vocabulaire le mot « donateur »…

L’Afrique n’a pas besoin de « riches » qui « donnent aux « pauvres » : le don (relire Mauss !)  est  échange et  partage, ou  n’est que charité humiliante pour celui qui reçoit et égoïsme subtile pour celui qui donne…

De même, l’Afrique a-t-elle encore besoin de troupes françaises stationnées en permanence ?  1 200 militaires au Sénégal, 800 au Gabon (pour ne citer que les deux pays du pré carre aujourd’hui visités) ! Pour qui, pourquoi ? Regardons nous aussi à travers les yeux des autres, même si, pour reprendre un proverbe africain,  « l’œil ne voit pas ce qui le crève »…

« Afrique Asie », avec un sens de la provocation à peine voilé suggère que nous transformions ces bases de « nantis armés » en bases agroalimentaires qui pourraient servir de terrain d’expériences à la  « Révolution verte » que le lucide Kofi Annan voudrait lancer en Afrique… Une telle annonce aurait, c’est certain, déclenché à l’université Cheikh Anta Diop ce tonnerre d’applaudissements que Sarkozy espérait mais n’a pas eu…  « Qui se blesse soi-même ne se rate jamais », dit la sagesse berbère.

Sarkozy  n’a pas ce triomphe populaire escompté parce qu’il n’a pas répondu à la seule question que se posent à son propos les esprits africains éclairés : est-il un nouveau président ou un président nouveau ?

Autrement dit sa « rupture » affichée  se traduit-elle par un réel changement des habitudes, des réflexes, des  calculs « françafricains » ? …

Le ton utilisé par le Président a été jugé « humiliant », y compris dans des éditoriaux qui n’ont rien de révolutionnariste ou par des responsables politiques qui manient la litote… Et ce n’est pas bon signe : « Les traces du fouet disparaisses, les marques de l’injure, jamais »

Il est vrai que les Africains connaissent mieux leurs problèmes qu’on peut   les connaître à l’Elysée: Ils savent mieux et plus que quiconque que « l’Afrique a sa part de responsabilité dans son malheur ». Il n’est pas minuit, Docteur Sarkozy :  « Celui qui rame dans le sens du courant fait sourire les crocodiles ».

Pourquoi avoir joué ainsi les « moralisateurs », les « donneurs de leçons », deux expressions qui reviennent souvent dans les commentaires ? « On n’attrape pas un hippopotame avec un hameçon »

La question se pose d’autant plus que les maux dénoncés (à juste titre) viennent en partie du système que la France, de l’ère Foccart à l’ère Chirac en passant par les périodes Pasqua-Mitterrand a entretenu, soutenu, défendu. Qui a rendu Bongo, au pouvoir depuis 40 ans, aussi « incontournable » pour reprendre le mot (en l’occurrence irrévérencieux) de Sarkozy ? « L’arbre suit sa racine » et « la feuille ne pourrit pas le jour de sa chute dans l’eau »  

Bien sûr, qu’il faut  donner aux relations franco-africaines un nouveau visage. Une nouvelle éthique,  pourrait-on dire. 

Oui, elles doivent  être «débarrassées des réseaux d’un autre temps, des émissaires officieux qui n’ont d’autre mandat que celui qu’ils s’inventent »

Oui, « le fonctionnement normal des institutions politiques et diplomatiques doit prévaloir sur les circuits officieux qui ont fait tant de mal par le passé »

Oui,  « il faut définitivement tourner la page des complaisances, des secrets et des ambiguïtés».

Mais en prend-on le chemin, par une « voie droite » et non par des « sentiers obliques » ? Pire : Sarkozy a-t-il les moyens d’en prendre le chemin ? « L’œuf ne danse pas avec la pierre »… Son discours de Dakar n’a pas convaincu. Et ses manières de faire avec Kadhafi, « bouche de miel et cœur de fiel », ont accru bien de suspicions…

Ce n’est qu’un début, bien sûr. Patience : « C’est au bout de la vieille corde qu’on tisse la nouvelle », dit un proverbe africain… Il faut tenir compte des legs d’un passé encore présent : « L’héritier du léopard hérite aussi de ses taches ». Et rien, en ce domaine,ne peut venir d’un miracle : « la figue ne tombe jamais en pleine bouche »…

Ce qui compte, c’est non le volontarisme mais la volonté : « Vouloir arriver, c’est déjà avoir fait la moitié du chemin ». Et la clairvoyance : « Ce qui est plus fort que l’éléphant, c’est la brousse ». Sarkozy devrait prendre le temps de se nourrir des proverbes africains pleins de sagesse… « L’espoir est le pilier du monde »

Daniel RIOT