On évalue l’efficacité des présidents américains à ce qu’ils ont pu accomplir durant leurs cent premiers jours. Il faudra encore en attendre soixante-seize avant que Barack Obama n’accède aux reines du pouvoir. Il a donc tout le temps de se préparer à ce qu’il voudra y mettre. L’état de grâce se maintiendra automatiquement pour lui jusque-là et les cent premiers jours lui seront offerts en prime.
Par Paul Jorion, 6 novembre 2008
Ce texte est un « article presslib’ » (*)Pour que l’état de grâce se maintienne au-delà de cette première période, il faudra pourtant qu’il s’y soit passé. C’est là que l’on pourra juger dans quelle mesure il est l’otage de ceux qui l’ont fait élire de leurs deniers. « La meilleure démocratie que l’argent permette d’acheter », dit-on en Amérique. La chose est vraie partout mais de manière tout spécialement tangible ici.
En général, le milieu des affaires vote républicain dans son ensemble. Or on a connu cette fois-ci une situation un peu inédite : il s’est en effet fendu en deux : d’un côté, la Chambre de Commerce, de l’autre, Wall Street. La Chambre de Commerce s’est alignée derrière McCain et Wall Street derrière Obama. Le ralliement de Wall Street au nouveau président demeure bien sûr un peu forcé, un peu contre son gré, mais McCain ne lui a pas laissé le choix : voulant tirer parti du sentiment anti-banquiers qu’il a humé dans l’atmosphère, il a vilipendé Wall Street et se l’est aliénée, si bien que quand on organisa pour lui à New York un « fundraiser », un de ces dîners au couvert hors de prix destinés à financer les campagnes électorales, on ne trouva quasiment personne à Wall Street pour y participer.
L’union traditionnelle entre la Chambre de Commerce et Wall Street reposait sur leur alignement commun en faveur d’une politique de laisser-faire : laissez nous nous enrichir comme nous l’entendons et le monde dans son ensemble y trouvera son bénéfice. Or sur cette question de l’autorégulation, Wall Street a jeté l’éponge. Mr. Henry Paulson, ancien PD-G de Goldman Sachs s’est fait social-démocrate même si c’est comme on se rend à Canossa, et Wall Street s’est vue contrainte de suivre. Seule option ouverte alors à celle-ci : limiter l’emprise du socialisme pendu au-dessus de sa tête comme une épée de Damoclès, et pour cela, « the Street » le sait, il lui faudra tout d’abord faire la preuve que les choses s’arrangent.
Alors à quoi consacrer ces cent jours ? Si Obama devait être plus radical en son for intérieur que l’image centriste qu’il a eu à cœur de présenter durant sa campagne, il pourrait s’y prendre si vite que la nation se verrait transformée avant même d’avoir pu s’en rendre compte.
Bien sûr quand on le voit recycler au lendemain de son élection les piliers de l’administration Clinton, on peut déjà avoir de sérieux doutes à ce sujet. Il lui faudrait en tout cas transformer en nationalisation franche la semi-nationalisation actuelle du secteur bancaire, ni chair ni poisson, et dont le statut hybride avait certainement été conçu pour lui permettre d’être recyclée à son goût par un nouveau président, qu’il soit alors démocrate ou républicain.
Le pays ressent également un besoin urgent d’un système universel d’assurance-maladie : son absence actuelle plombe lourdement le budget des entreprises comme celui des ménages du fait que les compagnies d’assurance-maladie (toutes privées aux États-Unis) ainsi que l’industrie pharmaceutique, dictent aujourd’hui leurs conditions sans qu’aucune instance gouvernementale ne restreigne leur avidité naturelle. Il faudra rapidement les mettre au pas.
Si Obama pouvait obtenir au moins cela, la face du monde n’en serait pas changée mais il aurait en tout cas amélioré ses chances de prolonger l’état de grâce au-delà de ses cent jours initiaux.
Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment La crise. Des subprimes au séisme financier planétaire L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008) et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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Article communiqué par Paul Jorion