Les vicissitudes liées à la portée juridique du reçu pour solde de tout compte
Par Servane BILLOT, élève avocat
Les lois se succèdent, leurs contenus passent par les extrêmes pour parfois adapter au final des positions déjà consacrées par le passé.
Rappel des Textes applicables
- L’ancien article L 1234-20 (avant 2008) du code du Travail précisait que :
« Lorsqu’un reçu pour solde de tout compte est délivré et signé par le salarié à l’employeur à l’occasion de la rupture de son contrat de travail, il n’a que la valeur d’un simple reçu des sommes qui y figurent ».
Cet article a été modifié par la loi du 25 juin 2008 n°2008-596 en son article 4.
- Le nouvel article L 1234-20 du code du Travail dispose désormais que :
- « Le solde de tout compte, établi par l'employeur et dont le salarié lui donne reçu, fait l'inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail.
- Le reçu pour solde de tout compte peut être dénoncé dans les six mois qui suivent sa signature, délai au-delà duquel il devient libératoire pour l'employeur pour les sommes qui y sont mentionnées. »
- L’article D 1234-7 rappelle que :
- « Le reçu pour solde de tout compte est établi en double exemplaire.
- Mention en est faite sur le reçu. L’un des exemplaires est remis au salarié ».
- - Et l’article D 1234-8 précise enfin que :
- « Le reçu pour solde de tout compte est dénoncé par lettre recommandée ».
A titre liminaire
Le reçu pour solde de tout compte est un document qui est délivré par l’employeur après la rupture du contrat de travail de son salarié. Il doit être signé par le salarié.
Le reçu pour solde de tout compte a pour but principal de préciser les sommes (prime, indemnité, salaire) qui ont été versées au salarié lors de son départ.
Revenons sur l’évolution en trois temps qui a abouti à la rédaction de ce nouvel article.
I – Le reçu pour solde de tout compte avant la loi du 17 janvier 2002 : le déclin amorcé par la jurisprudence d’une portée juridique du reçu d’abord reconnue
Le reçu pour solde de tout compte était libératoire en ce qu’il certifiait le versement des sommes indiquées. Mais le salarié avait un délai de deux mois pour le dénoncer à compter de la signature ; ce délai de forclusion dépassé, le salarié ne pouvait plus contester son contenu. Une fin de non recevoir lui était alors valablement opposée.
Le caractère libératoire était donc primordial.
Néanmoins, la jurisprudence a tempéré sa position en favorisant peu à peu la situation du salarié.
- dans un arrêt du 19 mai 1998 (n°96-40735), la Cour de cassation rejette le pourvoi sur le dispositif suivant :
« Ayant constaté que le document intitulé " reçu pour solde de tout compte " portait sur une somme dont, en l'absence de toute précision, il était impossible, lors de sa signature, de déterminer les éléments de rémunération ou d'indemnisation qu'elle concernait, c'est à bon droit qu'une cour d'appel a décidé que ce document constituait, non pas un reçu pour solde de tout compte au sens de l'article L. 122-17 du Code du travail, mais un simple reçu de la somme qui y figure et qu'en conséquence il ne faisait pas obstacle à la recevabilité de la demande du salarié en paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ».
- la Cour reprend ce même raisonnement dans des arrêts en date du 8 mars 2000 et du 16 mai 2000.
L’effet libératoire du reçu pour solde de tout compte a été par conséquent atténué puis il disparaitra avec la loi du 17 janvier 2002.
II – Le reçu pour solde de tout compte entre la loi du 17 janvier 2002 et celle du 25 juin 2008 : une portée juridique réduite à peau de chagrin
- L’ancien article L 1234-20 du code du Travail (loi du 17 janvier 2002), en précisant que le reçu pour solde de tout compte « n’a que la valeur d’un simple reçu des sommes qui y figurent », indiquait que l’absence de signature du reçu par le salarié ne s’opposait pas au versement des sommes. L’employeur devait donc verser les sommes indiquées. Il s’agissait d’une simple preuve de paiement et le salarié pouvait contester ultérieurement les montants versés, même si il avait signé le reçu.
Le reçu pour solde de tout compte a donc perdu son effet libératoire. Il revêtait un caractère facultatif et sa portée juridique s’en trouvait amoindrie. L’employeur n’était pas protégé contre une contestation ultérieure de son salarié.
Les réclamations du salarié restaient soumises aux délais de prescriptions légaux :
- - 5 ans en ce qui concerne les salaires (pourboires, salaires, avantage en nature, commissions, primes, indemnités de transport)
- - 30 ans en ce qui concerne les indemnités (non constitutives de salaire : indemnités de licenciement, remboursement de frais)
Le reçu pour solde de tout compte avait donc la valeur d’un simple reçu pour les sommes qui y étaient mentionnées.
III – Le reçu pour solde de tout compte après la loi du 25 juin 2008 : un retour aux sources et une portée juridique retrouvée : résultat d’un consensus
La loi du 25 juin 2008 établit un consensus entre les diverses positions successivement adoptées dans le passé.
En effet, elle restaure le caractère libératoire du reçu pour solde de tout compte (seulement pour les sommes indiquées) et lui redonne sa portée juridique qui avait été peu à peu réduite à peau de chagrin. Mais un certain équilibre entre l’employeur et son salarié a été trouvé de par le délai de dénonciation de 6 mois.
En effet, il convient de reprendre la lettre du nouvel article en vigueur :
- « Le solde de tout compte, établi par l'employeur et dont le salarié lui donne reçu, fait l'inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail.
- Le reçu pour solde de tout compte peut être dénoncé dans les six mois qui suivent sa signature, délai au-delà duquel il devient libératoire pour l'employeur pour les sommes qui y sont mentionnées. »
L’employeur devra mentionner précisément les différentes sommes versées à la date de rupture du contrat à défaut, le reçu sera un simple reçu non libératoire. Il doit être établi en double exemplaire avec mention sur le reçu. La date sur le reçu n’est pas imposée par la loi, néanmoins, le reçu non daté ne sera pas libératoire pour l’employeur.
L’accord national interprofessionnel sur la modernisation du travail du 11 janvier 2008 confirme le retour du caractère libératoire du reçu pour solde de tout compte qui pourra être dénoncé par le salarié par lettre recommandée avec accusé de réception dans un délai de 6 mois suivant à partir de sa signature.
Le salarié ne pourra plus contester les sommes mentionnées après ce délai.
Il convient enfin de préciser que le reçu pour solde de tout compte est libératoire seulement en ce qui concerne les sommes mentionnées.
Voila un résumé succinct de l’histoire mouvementée du reçu pour solde de tout compte !
- Servane BILLOT, élève avocat.
- Master II DJCE Droit de l'Entreprise et des Affaires: Certificat de Spécialisation en Droit Social
- Master II Droit SOCIAL,
- Maîtrise de Droit des Affaires