"Ni salaud lumineux, ni avocat de la terreur, Jacques Vergès monte sur les planches pour nous dire que défendre est une manière de vivre. Il nous explique que dans un procès, un drame est en train de s’accomplir sous nos yeux, un duel entre l’accusation et la défense. L’avocat et le procureur racontent deux histoires non pas vraies, mais vraisemblables. Et quand le dernier écho de l’éloquence s’est perdu dans les prétoires, il s’agit moins de dire le droit que de proclamer le vainqueur. La vérité est-elle fondamentalement hors de portée de la Justice ?" Comment ne pas répondre à un tel appel ? Rendez-vous fut pris.
19, rue de Surène. Paris. 8ème arrondissement. Devant le Théâtre de la Madeleine, la file des gens se forme. Réservées de Strasbourg par internet, les places nous attendent à l’entrée. Une nouvelle rencontre avec Jacques Vergès est au programme. Cette fois-ci, ce n’est pas l’écrivain, ni l’homme de robe. Est-ce un acteur ? Je ne sais. Lorsque se soulève le rideau rouge de ce théâtre parisien, un « serial plaideur » nous parle.
« Mesdames, Messieurs, je suis sûr que certains d’entre vous, me voyant ici, sur un scène de théâtre, se demandent si la place d’un avocat n’est pas plutôt au Plais de Justice, opposant ainsi à la gravité d’un procès, la prétendue frivolité d’un spectacle. Je vous avoue que je me suis posé la même question ». Le décor est planté. Debout devant son bureau, un nuage de fumée d’un bon cigare s’élevant dans la salle, Jacques Vergès nous interpelle.
A partir de 3 exemples, Antigone, Jeanne d’Arc, Antoine Berthet (qui n’est pas encore le futur Julien Sorel de Stendhal), Jacques Vergès développe son propos et nous invite à suivre ses raisonnements. Lentement, on analyse les causes, au sens propre et figuré, on comprend alors le principe même de la défense de rupture qu’il aurait mis en place s’il avait eu à défendre ces cas. On suit la métamorphose des coupables désignés pour devenir héros ou figures mythiques ou garant d’un honneur que l’on défend autant que la vie.
Le monologue se veut sage mais n’en est pas moins pédagogue. Mais Vergès n’enseigne pas, il pose encore et toujours des questions. Il pousse ceux qui le veulent ou le méritent à s’élever. Ici et maintenant, alors que se rencontrent procès, littérature et théâtre.
C’est finalement à chacun de comprendre l’humanisme total et l’humanité extrême de ce qui fondent la « défense de rupture », ce mode opératoire qui accorde à tout justiciable, quelque soit son crime, le bénéfice de l’humanité de principe.
Là, on s’interroge encore, la posture de Vergès est noble, mais qu’en est-il lorsque l’on a des proches ou les siens dans les victimes. Humaine question, sans doute trop humaine d’ailleurs.
Qu’à cela ne tienne. On sait, on retient que Vergès éloigne les faits pour en revenir à la cause. Là, face à nous, il nous entraîne, entre histoires vraies et vraisemblables et l’on se surprend à le suivre captivés par le fond, mais fascinés, voir séduits aussi par l’éloquence de la forme.
L’homme évoque ensuite de multiples anecdotes, fortes de sens et de conséquences mais toutes marquées par un soucis permanent de justice. Entre honneur, aristocratie et engagement, Jacques Vergès est lumineux. La pièce s’achève sur des salves d’applaudissements. Debout, immobile, souriant, satisfait du devoir accompli, il reçoit l’acclamation. Reconnaissance ultime de l’esprit de liberté qu’il a su faire souffler dans les prétoires, quelque soit le cas et quelque soit le client. Acceptation sans appel de son rôle de serial plaideur à perpétuité.
A voir : Jusqu'au 29 décembre, les dimanche à 18h et 21h, et les lundi à 21h. Réservations : 01 42 65 07 09 - www.theatremadeleine.com
En plus : La lecture et l’achat du programme sont grandement conseillés.
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