La vengeance du pied fourchu 22

Publié le 07 novembre 2008 par Porky

Arnaud ne fut pas peu surpris de voir débarquer Martin dans la réserve de bois quelques jours après son départ dans la montagne. Il avait donc abandonné son troupeau ? « Mais non, fit Martin d’un ton sec. Drago les garde, et tu peux lui faire confiance pour que pas un ne sorte du droit chemin. » Quand même, pensa Arnaud. Laisser un chien faire le travail à sa place… D’accord, Drago était on ne peut plus compétent pour traquer les récalcitrants, mais saurait-il les faire rentrer dans la bergerie à la nuit tombée ? « Si tu me laisses t’expliquer ce qui m’amène ici, il n’aura pas besoin de le faire étant donné que je serai rentré avant la nuit », dit Martin et Arnaud ouvrit des yeux ronds. « Mais enfin, il faut une journée de marche pour atteindre l’alpage, répliqua-t-il en dévisageant son ami. Et il est presque midi. » « Je n’ai pas mis une journée pour descendre, dit Martin. La preuve puisque je suis là. Bon, tu as fini ? Je ne suis pas venu pour t’entendre radoter comme à ton ordinaire. » La voix n’était pas des plus aimables, les parole non plus et seule l’amitié qu’Arnaud éprouvait à l’égard du fiancé de sa sœur le retint de lui flanquer son poing dans la figure pour lui apprendre à être un peu plus poli. D’ailleurs, tiens, ils étaient faits l’un pour l’autre, ces deux-là. Quand ils avaient décidé d’être désagréables, ils se surpassaient. Et visiblement, Martin n’était pas d’humeur à plaisanter. « Qu’est-ce que tu veux ? » demanda enfin Arnaud qui n’avait qu’une envie : voir ce déplaisant visiteur tourner rapidement les talons.

Martin plongea la main dans la poche de son pantalon et en ressortit quelque chose qui fit bondir Arnaud : le collier d’émeraudes. « Ne fais pas cette tête, dit Martin. Ce n’est pas moi qui l’ai volé. Mais je l’ai trouvé dans la montagne, au bord du chemin. Ta sœur ne serait pas un peu folle, par hasard, pour semer ses bijoux n’importe tout et faire un cirque du diable après ? » La stupéfaction était trop intense pour que Arnaud songeât à défendre Catherine. La vision du collier semblait d’ailleurs confirmer les paroles de Martin. « Elle va être contente de l’avoir enfin retrouvé », murmura Arnaud, conscient de prononcer une affreuse banalité. « Tiens, prends-le, rétorqua Martin en le tendant au jeune homme. Moi, je ne sais qu’en faire. Tu le lui porteras toi-même en lui disant où je l’ai découvert. » Arnaud tendit machinalement la main. Cependant, à peine Martin avait-il déposé le collier dans la paume grande ouverte qu’il parut changer d’avis et le reprit. « Non, finalement, j’irai le lui donner moi-même, murmura-t-il. Dieu sait ce que tu pourrais inventer. » Le visage d’Arnaud se colora lentement sous l’effet de la colère. « Que veux-tu dire ? demanda-t-il en serrant machinalement les poings. Que j’aurais l’audace de t’accuser de vol ? » « Oh, non, tu es bien trop honnête pour ça, ricana Martin et sa voix contenait un abîme de mépris. Et vertueux. Mais je parie que ta sœur va te bombarder de questions auxquelles tu ne sauras pas répondre. Mieux vaut que je me charge de la restitution du collier. » Il le remit dans sa poche puis adressa à Arnaud un sourire éclatant. En une seconde, le jeune homme eut à nouveau devant lui le Martin qu’il connaissait et appréciait. « Désolé d’avoir été si impoli, murmura le jeune berger. Mais tu comprends, cette découverte m’a un peu énervé eu égard à toutes les accusations farfelues que Catherine a proférées, et je n’y ai pas échappé. Alors disons que… » Ce qu’il affirmait était vrai, Arnaud s’en souvenait. Madame la Mairesse avait passé en revue tous ceux qu’elle estimait capables de lui avoir volé le collier et Martin faisait partie du lot. Il sourit à son tour. « Ce n’est pas grave, répliqua-t-il. Mais la prochaine fois, préviens que tu es de très mauvaise humeur. Tu as failli recevoir mon poing dans la figure. » « Je crois que je l’aurais mérité, admit Martin. Et je préfère cent fois qu’on se serre la main, pas toi ? » « Oh si ! » fit Arnaud et les mains des deux hommes se joignirent.

« Alors ? » demanda Sigrid en se levant pour accueillir son mari. Il quitta le léger manteau dans lequel il s’était enveloppé à cause de la fraîcheur de la nuit puis s’assit sur le divan. « Alors rien », murmura-t-il avec un soupir. Elle quitta la pièce un instant. Louis s’appuya au dossier et ferma les yeux. Il n’était nullement fatigué mais ce guet inutile commençait à l’inquiéter. Une bonne odeur de café envahit tout à coup la pièce. Sigrid était rentrée et avait déposé devant lui un plateau contenant un succulent petit déjeuner. « Mange, dit-elle. Moi, je suis levée depuis longtemps. » « C’est un peu assommant, ce besoin de manger, boire et dormir », murmura-t-il. Sigrid se mit à rire. « Je ne trouve pas. J’aime bien faire la cuisine, ça change un peu du reste. » Il se versa une tasse de café, prit un morceau de brioche et le mâcha lentement, mais sans enthousiasme excessif. Sigrid souleva le rideau et jeta un coup d’œil par la fenêtre. « C’est l’aube. Tu as bien fait de revenir. Il ne se passera plus rien. » Elle revint vers le jeune homme et s’installa près de lui. « Je crois qu’on fait fausse route, dit-elle gravement. Catherine n’est pas plus somnambule que moi. Cela fait déjà quinze jours que tu l’épies et pour rien… » « C’est peut-être encore un peu tôt… » commença Louis mais sa femme l’interrompit. « Tu sais aussi bien que moi que dans l’état d’anxiété où elle se trouve, elle devrait prendre une crise. Or, elle dort profondément. » Louis avala une gorgée de café. « Et qu’en déduis-tu ? » Sigrid soupira profondément. « La même chose que toi, répliqua-t-elle. Nous nous sommes fait avoir en beauté. Je me demande même si… » Elle n’acheva pas sa phrase et se leva, retourna vers la fenêtre. « Tu es trop nerveuse, remarqua-t-il. Ce n’est pas le moment de les imiter. Cela dit, où voulais-tu en venir ? » « Et bien, je soupçonne une entourloupe. Si tout cela n’était que mise en scène pour nous détourner du principal ? Nous nous occupons de Catherine et nous négligeons les autres. » « Missia ? » interrogea Louis. Pour l’instant, elle va très bien. « Sa sœur ne cesse de se plaindre d’elle, répliqua Sigrid. Et maintenant, il parait qu’Arnaud est constamment de mauvaise humeur. Tu ne trouves pas ça bizarre, toi, alors qu’il était le plus charmant des garçons ? » « Catherine se plaint de tout et de tout le monde, affirma Louis. Surtout depuis l’affaire du collier. Si seulement nous le retrouvions, ce bijou ! Je suis certain qu’il est la clef du problème. » Sigrid se mit à rire. « Dire que c’est grâce à toi que Philippe l’a acheté ! » « Je pensais que ce serait un bon appât », dit Louis avec un soupir. « A mon avis, cela l’était, dit Sigrid, soudain pensive. Le problème, c’est que nous nous sommes laissés dépasser par les événements et nous avons perdu le contrôle de la situation. » « C’est le moins qu’on puisse dire », dit Louis en rejoignant sa femme devant la fenêtre.

« Voyons les choses en face, continua-t-il, les sourcils froncés. Catherine est bien sortie la nuit mais elle n’était pas la victime d’une crise de somnambulisme. Donc, une force supérieure à elle l’entraînait la nuit dans la montagne. » « Je vois ce que tu veux dire, murmura Sigrid. Et c’est tout à fait son style. » « On s’aperçoit de la disparition du collier et Missia part à sa recherche –de cela, je suis à peu près certain. Tout de suite après, sa mère commence à se plaindre d’elle, puis on dit qu’Arnaud est devenu insolent et ne fiche plus rien chez lui. » « Tu oublies Martin qui abandonne volontiers son troupeau pour courir la montagne et… autre chose en même temps. Cela ressemble fort à une… épidémie. » Ils échangèrent un regard soucieux. « Si c’est ce à quoi je pense, la situation est très grave, murmura Louis après un instant de silence. Aurons-nous encore le temps d’intervenir ? » « Pour le faire, il faut que nous soyons sûrs... Sinon, le remède risque d’être pire que le mal. »

De nouveau, le silence s’installa dans la pièce, à peine troublée par le tic-tac de la pendule posée sur la cheminée. « Nous ne pouvons pas attendre que tout le village y passe, reprit Louis. Pour le moment, l’épidémie, comme tu dis, ne touche que les membres de la famille de Missia, ce qui n’a rien d’étonnant vu les informations que nous possédons. Mais je crois qu’il va bien vite passer à la vitesse supérieure. » « Et quand tout le monde aura été contaminé ? » demanda Sigrid d’une voix tremblante. Il la dévisagea gravement. « Tu le sais. Il sera trop tard. Et tout sera accompli. » Louis se rassit sur le divan et finit d’un trait sa tasse de café. « Demain, dit-il, c’est dimanche. Je vais tenter une expérience qui, je le pense, devrait être concluante. » Sigrid revint vers lui, se pencha et reprit le plateau. « Je suppose que tout est prêt, fit-elle. Je veux parler du plan… » « Oui, confirma Louis avec un hochement de tête. Il ne restera plus qu’à passer à l’action. »

(A suivre)