Isabelle habite Chicago, elle était à Grant park le fameux soir. Elle raconte son émotion.
La sécurité était au maximum, police montée, trois postes de contrôle pour vérifier l’identité puis portail avec les services secrets au boulot, impressionnant. Ce qui l’était aussi c’était cette foule, très calme, tendue, très courtoise et disciplinée, une marée humaine qui s’est avancée tout doucement, s’est écoulée dans les goulots d’étranglement entre les barrières métalliques avant de courir sur le gazon de Grant Park pour avoir une bonne place.
Et puis l’attente a commencé, longue, rythmée par les hélicoptères dans le ciel, CNN en continu sur des écrans géants, une louma qui balayait la foule et diffusait des images de ces gens qui attendaient dans un grand calme anxieux ou agitaient leurs drapeaux en criant d’impatience.J’ai passé 5 heures debout contre une barrière métallique, je suis fourbue aujourd’hui mais quel moment ! La montée d’excitation a commencé avec l’annonce qu’Obama remportait la Pennsylvanie vers 20 heures, et puis ensuite l’Ohio et là une analyste sur CNN a dit, « excusez-moi mais THAT THING IS DONE », c’est terminé ! Une journaliste a indiqué que les conseillers spéciaux de McCain le lui avaient confirmé. C’était terminé pour lui.
Mais le chiffre magique de 270 n’était pas encore atteint. Il a fallu attendre la fermeture des bureaux de vote de Californie vers 22 heures, le décompte en secondes s’est affiché sur l’écran et la foule l’a repris en cœur, 5… 4… 3… 2… 1 … il y a eu une annonce peu après et sur l’écran s’est affiché « OBAMA ÉLU PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS ». Elle était belle cette clameur de joie énorme, c’était comme un gros cri primal qui a résonné, impressionnant. Une drôle de sensation un peu angoissante d’être au milieu d’un organisme collectif en fusion, ça vous attrape, on est juste dans la communion.
Le calme est retombé mais pas la joie, et puis on a eu un test de son au micro, le dernier en attendant le nouveau président élu.
Mais avant, John McCain est apparu à l’écran et je dois dire que je l’ai trouvé remarquable hier, demandant à son public de cesser cette rumeur de désapprobation lorsqu’il mentionnait Obama, il a dit des choses très belles sur la signification de cette victoire, sur la fierté qu’elle implique. Pour moi, ça été un discours annonçant un peu l’honneur retrouvé de McCain après ces moments nauséabonds de campagne et le choix de Sarah Palin qui est devenue en 8 semaines, une « liability », un fardeau. McCain semblait avoir perdu toute dignité et je voyais des journalistes qui manifestement avaient eu beaucoup d’affection pour lui, s’interroger avec perplexité sur le tour pris par cette campagne.
Au milieu de cette foule, j’ai compris que moi j’étais une Européenne issue d’une république laïque, car après McCain, un pasteur est apparu sur l’écran, il s’est avancé au micro et a dit, prions pour ce nouveau président. Et la foule autour de moi a baissé la tête et s’est recueillie dans une prière à l’unisson pour remercier Dieu et pour lui demander d’aider le président élu dans sa tâche.
Puis un vétéran lui a succédé pour le Pledge of Allegiance, le serment d’allégeance au drapeau, et la foule là encore, tous ces jeunes ont prononcé impeccablement ce serment, j’imagine que c’est aussi un peu un ciment patriotique, pour ce pays dont les citoyens viennent de tous les coins de la planète. On a bouclé avec l’hymne chanté a capella très moyennement d’ailleurs par une inconnue pour moi.
Et enfin, O-BA-MA O-BA-MA O-BA-MA O-BA-MA O-BA-MA O-BA-MA … a réclamé la foule … parce que quand même quoi hein, ça fait des heures qu’on attend … sur l’écran géant, j’ai vu défiler une caravane de voitures et je me suis dit, il arrive, j’avais lu qu’il était dans un hôtel downtown et que les services secrets allaient décider du moment opportun de son arrivée.
Et puis une voix a annoncé THE NEW FIRST FAMILY et dans une nouvelle grande clameur de joie, Obama s’est avancé avec sa femme et ses deux filles, il était un tout petit peu chancelant le président élu, très fatigué.
Il a dit, HELLO CHICAGO (clameur aiguë !!!) et a prononcé ensuite son discours où il a utilisé ce fameux YES WE CAN, que la foule a repris en chœur après lui. Obama est un leader, c’est évident, il sait capter l’attention, l’écoute et hier plus que jamais pour ce premier discours de président élu. Les médias qui font toujours effet de loupe l’ont aussi parfois « messianisé » de manière ridicule, or il n’est pas un messie, est-ce qu’il est un homme providentiel pour les États-Unis d’Amérique ? Je ne sais pas.
Il va devoir sérieusement aller à la mine en tout cas, et il le sait comme il semble savoir qu’il en décevra beaucoup. C’est un homme magnifique mais avec une substance et n’oublions pas qu’avant de battre McCain, il a battu LES Clinton, deux vieux briscards de la politique, ce qui indique aussi qu’il est un fin politicien, qui sait s’entourer. A cet égard, Hillary Clinton a été remarquable, radieuse à la convention démocrate, discours de haut vol et elle n’a pas varié dans son soutien annoncé. Une femme d’état. Mais l’homme qui a remporté l’élection hier soir, il est aussi un beau symbole pour nous tous.
Et puis on s’est replié dans le calme, dans un drôle d’état d’hébétude heureux. Un vrai moment inoubliable.
Isabelle
ééé
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