Je n’aime pas beaucoup quand le souffle chaud de la vengeance vient caresser le présent en s’échappant d’un passé diabolique. Sans doute parce que les diables sont partout, prêts à ouvrir les feux de l’enfer.
Il a fallu attendre quelques jours en Occident pour savoir qu’un magazine tchèque, Respekt a publiéun rapport de police du 14 mars 1950. On peut y lire, sans qu’aucune analyse ne mette en jeu toutes les parties prenantes, mais est-ce encore possible ?que Kundera a dénoncé un certain Miroslav Dvoracek, lequel aurait confié une valise au contenu sulfureux lié à son engagement en tant qu’espion auprès des services de l’Ouest, à une amie et que l’amant de celle-ci l’aurait lui-même transmise à Kundera. « L’espion » en question, une fois dénoncé a purgé une peine de vingt-deux ans de prison dans des conditions qu’on imagine volontiers inhumaines. Kundera coupable de cette dénonciation là ? Lui qui a pris le recul de l’humour noir pour fustiger la bêtise maladroite. Kundera maladroit par procuration ?
Voilà ce que je comprends au travers de la brume qui entoure cette publication que je ne peux lire dans la langue originale et surtout au travers de son étrange transmission à l’Ouest. Enfin, j’écris l’Ouest comme si rien n’avait évolué à l’Est depuis vingt ans et surtout pas l’opposition entre les exilés, espions ou non et leurs pays d’origine.En fait je ne comprends pas vraiment et je ne sais rien de l’authenticité des faits. Mais je suis tout de même mis devant le fait accompli. Un fait dont des journalistes, surtout dans les radios, ont ramassé l’écume à la louche, comme on débarrasse un bouillon de sa graisse. Sale cuisine en l’occurrence.
La solidarité de personnes que j’apprécie, comme Jean Daniel, Juan Goytisolo, ou Orhan Pamuk est venue à la rescousse, sans que j’aie besoin d’ajouter mon doute sur ces affirmations au leur. Cela n’aurait pas de sens. Je ne puis dire rien d’autre que mon appréciation pour l’écrivain. Je ne connais pas l’homme.
Et des dénonciations j’en ai connues d’autres, et de récentes, dont le but clairement affirmé était de détruire une carrière, surtout dans le cas d’une brillance politique gênante. Cela et arrivé il y a peu à une ancienne Ministre de la Culture roumaine. Là non plus, je ne sais rien de la vérité des faits, mais j’ai apprécié la personne. J’espère qu’elle saura rebondir. Mais comment juger du contexte roumain hier, ou du contexte tchèque aujourd’hui ? Surtout si l’on n’est ni roumain, ni tchèque et que l’on a eu la chance de naître après l’occupation allemande.
J’ai relu l’an passé « La plaisanterie », livre sorti de mes archives, que je n’avais plus regardé depuis sa traduction en France. Je l’ai trouvé comme flambant neuf ; exactement comme s’il s’appliquait toujours au présent. Quelque part. Sans doute plus de la même manière dans le pays dont il parle, l’ancienne Tchécoslovaquie, mais ailleurs. Parce qu’il y a toujours un ailleurs de la dénonciation de l’ennemi de classe, quelle que soit la classe.
C’était évidemment sans compter avec le retour de diablotins malfaisants.
Comme à l’habitude, c’est vers Andrei Pleşu, un temps responsable de l’éthique de l’ouverture des archives de la Securitate roumaine, qu’il faut se tourner lorsqu’on est pris du sentiment que ces heures passées se devraient d’avoir disparu.
Il n’emploie pas les termes de : retour en arrière, ou lenteur, mais il prend en compte la métaphore de la lassitude.
Dans ce rapport Est – Ouest jamais simple qui le passionne et le fatigue à la fois, il avoue : “Nous allons vous apporter une certaine lassitude historique. Car, oui, nous sommes fatigués. Mais cette fatigue peut aussi devenir une vertu, parce que l’Europe a oublié d’avoir l’air fatigué : elle est trop active, trop dynamique, elle parle toujours de l’avenir, elle fait des projets. Pourtant, l’Europe, c’est aussi un passé – et l’Est va peut être lui apporter un peu de recul, un peu de calme, un peu de silence analytique qui lui est aussi nécessaire que le dynamisme du citoyen de l’Ouest. »
Je sais bien que pour Pleşu, recul ne voulait certainement pas dire : retour aux faux-semblants ou aux faux tout court, ni même aux improvisations hors de tout contexte. Il se situe à l’exact opposé. Mais pourtant, il y a toujours des nostalgiques du retour. Ceux qui préfèrent le retentissement médiatique de la mort d’une étoile, il y a cinquante ans, au silence analytique des archives.
Günter Grass a consacré un livre entier à dire pourquoi il n’avait pas dit.
Kundera a dédié sa vie pour écrire ce qu’il avait compris de l’essence du roman, entre vérité et passion, entre mensonge et symbole.
L’un et l’autre ont pu paraître des consciences. Ils ont simplement proposé pendant toute une vie des récits plausibles qui étaient d’abord des écritures uniques.
Sans doute importera-t-il aux critiques d’art de dire un jour ce qui reliait leurs phrases à leur conscience trouble. Comme chacun d’entre nous ? Et pourquoi ils ont atteint nos consciences troubles, sans les laver pourtant.
Mais pour les lecteurs, les archives du roman sont les archives d’une vie unique et d’une mémoire qui livre des scories et des larmes. Tout le contraire des archives policières.
Pour ceux qui lisent le roumain, je conseille le lien avec Dilema veche du 16 mars 2008.
« La lâcheté passée ne condamne pas à être éternellement lâche. » écrit le philosophe, ancien ministre.
« Are dreptul cineva care, înainte de 1989, a făcut compromisuride de un fel sau de altul, să mai aibă opinii politice în ziua de azi? »
Photographie: Place du 21 décembre 1989