On ne peut parler aujourd'hui des qualités requises pour diriger une entreprise sans
prendre en compte l'avènement de la globalisation et la crise actuelle qui bouscule l'ordre
économique mondial. L'un des faits les plus marquants de la mondialisation de
l'économie est peut-être que les entreprises n'ont jamais eu autant d'impact sur la société.
Certaines entreprises comme Microsoft, Apple ou Google façonnent nos cultures.
D'autres transforment nos sociétés, comme ces institutions de micro crédit qui ont un
impact majeur sur les pays émergents. D'autres encore influencent les habitudes de
consommation de milliards d'individus, comme Procter & Gamble, L'Oréal ou Carrefour
auprès des consommateurs de leurs produits à l'échelle planétaire.
Devant l'état critique du monde, on ne peut s'empêcher de ressentir l'obligation de
repenser les aspects les plus fondamentaux du fonctionnement de nos entreprises et en
particulier des modes de leadership. Les circonstances économiques ont rarement été
aussi pressantes et à la fois propices à une réflexion de fond sur les qualités d'un dirigeant
d'entreprise.
Crédit photo Rip Hopkins
Le dirigeant est perçu en premier lieu comme dépendant d'une logique de marchés
financiers _ une sorte de loi suprême ; il est à la tête d'une organisation économique. De
ce fait, on attend du dirigeant qu'il soit à la fois visionnaire et pragmatique pour anticiper
les attentes et besoins des consommateurs et des marchés et servir au mieux la logique
économique de son entreprise.
Cependant, la crise financière, agricole, pétrolière et environnementale à laquelle nous
devons faire face de façon urgente ne nous permet plus de penser l'entreprise uniquement
selon cette logique économique. Cette dernière nous mène à une impasse et notre marge
de manoeuvre semble plus étroite chaque jour. Comme toute crise, on peut la considérer
avant tout comme une opportunité. Le leadership peut être redéfini pour permettre des
solutions créatives où la dimension économique de l'entreprise reprend sa juste place. Le
temps de s'adapter par nécessité aux contraintes sociales et environnementales pour
permettre plus de croissance est révolu. Nous sommes maintenant obligés d'adhérer à nos
nouvelles obligations. Nous devons évoluer, grandir et devenir responsables : certaines
réparations économiques, sociales et écologiques s'imposent. D'aucuns diront qu'il s'agit
d'une utopie. Mais peut-on jamais apporter une transformation fondamentale sans utopie,
dans sa phase de conception tout au moins ?
D'autres nous rappelleront que certaines entreprises ont prouvé qu'utopie et efficacité
économique ne sont pas antinomiques, loin s'en faut. L'exemple le plus éloquent est celui
de Google. Les deux fondateurs étaient encore des « teenagers » quand ils ont conçu l'un
des projets les plus révolutionnaires de notre époque. Ils ont suivi leur inspiration. Ils ont
rêvé une utopie et continuent de rêver l'impossible. Ce n'est pas un projet seulement
économique qui les motive mais bel et bien un projet de civilisation. Qu'il s'agisse de leur
introduction en Bourse, de leur stratégie de ressources humaines, ou de leur projet
d'éradiquer les maladies génétiques, ils semblent chaque fois défier la loi de la gravité
économique pour toujours mieux y exceller. Il s'agit de la plus grande réussite financière
de l'histoire du capitalisme et l'une des entreprises les plus à même de fournir les outils
nécessaires pour permettre à notre monde d'évoluer.
Développement vertueux _D'autres entreprises dans des secteurs traditionnels ont
démontré la possibilité d'un modèle de développement vertueux. À l'échelle européenne,
Danone est parvenu à associer les vertus les plus porteuses de la société civile avec un
développement économique rentable et en forte croissance. L'un des plus grands succès
de Franck Riboud a été de permettre à son groupe et donc à ses équipes de moins
ressentir la pression sur les marges exercée quotidiennement par la grande distribution.
En une dizaine d'années, Danone a su se développer sur des territoires géographiques
nouveaux et concevoir des produits moins sensibles à la pression des prix. Il faut un
certain courage et une pensée ingénieuse pour concevoir et mener de telles stratégies et
modèles de développement. L'intelligence intuitivtive est précieuse en la matière ; elle se
définit comme la combinaison singulière de quatre aptitudes :
la capacité à penser de façon holistique afin de dépasser la pensée traditionnelle
fragmentée qui tend à réduire l'entreprise à une entité essentiellement économique ;
la capacité à penser de façon paradoxale, en particulier, ne pas opposer raison à instinct,
mais bien au contraire, à en comprendre la complémentarité ;
la capacité à observer et être à l'écoute de nos sens pour enrichir le processus analytique
de nos perceptions subtiles, c'est-à-dire au-delà des apparences ;
la capacité à diriger par influence et non par imposition suivant l'idée que nous sommes
en relation avec un monde en évolution permanente et que notre relation avec le monde
est elle-même essentiellement évolutive.
Lors de la semaine Visions of Leadership, organisée chaque année sur le campus HEC
(1), de grands dirigeants parmi lesquels Jean Paul Agon (L'Oréal), Phil Bentley (British
Gas), Daniel Bernard (Provestis, ex Carrefour), Isabelle Capron (Fauchon), Henri de
Castries (AXA), Jean René Fourtou (Vivendi), Georgia Garinois (Johnson et Johnson),
Cyrille Vigneron (Cartier France) ou le Général Georgelin sont chacun venus parler à
différents moments de leur expérience de leader. Tous ont souligné l'importance cruciale
de leur intuition et de leur instinct dans leur succès. L'intelligence intuitive se cultive et se
développe. Elle est enseignée aux étudiants du MBA HEC de façon expérientielle à partir
d'un corpus théorique s'appuyant sur les dernières recherches en science des organisations
et sciences cognitives. Une méthode de management a été également conçue pour la
mettre à l'oeuvre dans l'entreprise, pour penser le leadership de façon innovante et
responsable et concevoir des modèles de développement vertueux au sein de la
complexité du monde économique global.
Pour être opérante, cette approche doit s'accompagner d'une qualité fondamentale chez le
leader : le caractère. Il s'agit de la qualité nécessaire pour parvenir à renoncer aux
habitudes et satisfactions immédiates et inventer d'autres modes de croissance présentant
tout autant de bénéfices économiques à terme sans induire les inconvénients que nous
connaissons à nos modes de développement actuels. C'est vraisemblablement pourquoi le
MBA HEC a été conçu comme un « MBA that builds character ».
Ecrit par : Francis Cholle, membre de courts circuits
Posté par : Sophie Demol
En lien avec : Rapport d'innovation Courts circuits, "La socio performance"
Publié sur : levidepoches/marketing