Faire des gestes quotidiens et personnels pour l’écologie, c’est bien, et je me réjouis de la prise de conscience grandissante chez les citoyens, et que ce thème fasse sa place dans le débat public, témoin cette conférence. C’est un vrai levier de changement, à certaines conditions. Quand des gens prennent conscience et font les premiers pas d’une mise en pratique, il est utile de les guider pour éviter les déconvenues et le renoncement. Quand ces gestes s’inscrivent dans une globalité de vision, une cohérence, ça devient plus puissant et pérenne. C’est comme une image de puzzle qu’on assemble : au début, on place quelques pièces, ça semble très disparate ; puis à un certain seuil, ça bascule : on devine l’image globale, et alors cette représentation guide nos gestes. Ca s’appelle changer de paradigme, en conscience. Le paradigme dominant depuis un siècle est celui du matérialisme consumériste : il consiste en une vision mécaniste de la vie (une cause produit un effet, de façon linéaire) et nous suggère par de multiples moyens que nous serons plus heureux si nous pouvons en avoir plus, consommer davantage, jusqu’à nous rendre addictifs. Il dit aussi que les ressources naturelles sont là pour qu’on s’en serve, ce qui a amené l’épuisement des réserves et
la pollution. De
même, l’image de l’humain, comme celle des animaux et de la nature en général, s’est chosifiée (réifiée), leur enlevant leur dignité. La vie des civilisations est faite d’époques, avec des vagues successives de valeurs. Le paradigme matérialiste consumériste cité est en déclin, en bout de course ; nous pouvons l’affirmer grâce à une étude sociologique sur les valeurs, menée dans plusieurs pays : USA, France, Allemagne, Italie, Hongrie, Pays-Bas, Norvège, Japon. Les seuls résultats dépouillés à l’heure actuelle le sont pour les USA (1999) et la France (2006) ; des rapports et des livres en sont sortis. Cette étude montre que de plus en plus de gens se détachent de ce modèle dominant ; ils cherchent des valeurs plus centrées sur la simplicité et l’être, sont prêts à renoncer à une part de consommation pour une vie plus sobre. Ils n’ont plus envie de « perdre leur vie à la gagner ». Ils aspirent à davantage de sens, avec une dimension sociale et spirituelle affirmée. Ils tissent sans tapage une nouvelle culture, et, comme le souligne Jean-Pierre WORMS dans son introduction, la culture est l’élément structurant fondamental de toute société. C’est donc le levier de changement par excellence, ou le lieu de tous les freins au changement. Les créatifs culturels concrétisent la phase qui succède à l’individualisme : la recherche d’autonomie pour la construction de leur identité, en se distanciant des institutions et autorités extérieures. Enfin, ils sont dans le peloton de tête des innovations sociales, prenant leurs projets à bras le corps, sans attendre d’aval institutionnel. Le nouveau paradigme émergent est constitué de valeurs transversales autour de six pôles. Ces pôles de valeur ont été déterminés à partir des réponses aux questions (une cinquantaine) administrées à 1 115 personnes, selon les règles professionnelles des enquêtes. C’est le dépouillement et le traitement des données qui les a fait apparaître ; il y en a deux de plus que dans l’étude aux USA.
La caractéristique de cette population, est que ces valeurs sont portées de façon concomitante par ces personnes, que nous avons nommées les « créatifs culturels ».
Ils sont les suivants :
- l’écologie et le développement durable : le bio, la consomm’action, les méthodes naturelles de santé
- le rôle des femmes dans la société : la véritable place des femmes dans notre société, coopération , préoccupation par rapport à la violence
- être, avoir et paraître : l’importance de l’être par rapport à l’avoir et au paraître
- le développement personnel : la connaissance de soi et l’ouverture aux autres, la dimension spirituelle
- l’enjeu sociétal : l’implication individuelle et solidaire dans la société, le social avec une dimension locale
- l’ouverture culturelle : le respect des différences, le multiculturel.
En détail :
- Les créatifs culturels sont très préoccupés par les problèmes écologiques et ils sont favorables aux principes du développement durable. Ils se révèlent particulièrement sensibles aux risques liés au développement économique intensif de certaines grandes entreprises multinationales :
F80% des créatifs culturels reconnaissent le lien entre protection de l’environnement et ralentissement de la consommation, vs 63% de la population française dans son ensemble
F62% des créatifs culturels seraient favorables à une participation financière citoyenne à la résolution des problèmes environnementaux.
Ainsi ils déclarent majoritairement que leur principal registre anxiogène concerne essentiellement l’état des réserves naturelles de la terre et plus largement l’état de notre environnement
Ø Les créatifs culturels prônent une place plus large au féminin dans la société et une meilleure condition de la femme.
Ø Ils sont davantage dans l’être que dans l’avoir et le paraître.
Si un français sur deux déclare vouloir gagner le plus d’argent possible, attitude corroborée par le fait que 61% de la population française tienne à réussir sa carrière, les créatifs culturels se présentent comme le courant le plus nettement en recul sur cette notion de gain pécuniaire. Les créatifs culturels apparaissant comme défenseurs d’une vie (plus) simple fondée sur des valeurs et non sur des apparences.
Ø Un autre caractère distinctif des créatifs culturels est leur sensibilité à la spiritualité et à l’ouverture aux autres.
Ø En matière d’éducation et d’hygiène de vie ils sont également typés :
F 85% des créatifs culturels ont déjà utilisé des pratiques de médecine alternative, dont 25% souvent. La moyenne nationale d’utilisation de ces thérapies est de 65%, dont 12% utilisent souvent.
Ø Les créatifs culturels pensent qu’un changement personnel peut contribuer au changement de notre société et en cela les créatifs culturels sont, entre autres et parmi d’autres, créateurs de culture.
Cette notion de potentiel créateur en matière de culture est notamment exprimée au travers des deux notions suivantes :
- l’importance accordée à l’expression de ses capacités et de sa créativité dans le travail
- la reconnaissance de l’influence de son propre changement sur le changement du monde.
Nous retrouvons un net parti pris de la part des créatifs culturels en faveur d’une contribution sociétale des individus et d’une reconnaissance de l’aide à son prochain.
Ø Enfin, les créatifs culturels sont défenseurs de valeurs multiculturelles
La notion de création de culture se croise ici avec le registre du multiculturalisme et cela notamment au travers de la transmission à ses enfants du principe d’accueil et de reconnaissance des différences.
Quelques éléments significatifs :
- ils représentent 17% de la population française adulte (+les alter-créatifs, qui leur sont proches : 21%)
Ø En termes de caractéristiques sociodémographiques, c’est un courant :
- plutôt féminin (64% de femmes vs 50% population française)
- plutôt jeune (68% de 18 – 49 ans vs 60% population française)
- plus aisé 20% de revenus supérieurs à 45 000 euros vs 16% population française) mais avec sensiblement plus de personnes vivant sur ces revenus (pour 30% quatre personnes et plus vs 21% population française)
- où l’on trouve la proportion la plus importante de personnes séparées ou divorcées (14% vs 10% population française)
- comportant le plus de foyers avec enfants (70% vs 61% population française). Il s’agit notamment de foyers avec trois enfants et plus (21% vs 16%)
- présentant une sur représentativité des catégories socio professionnelles dites supérieures
- sensiblement plus important dans
la région Ouest.
Pour conclure, cette enquête apporte un soutien à nombre de citoyens qui partagent ces valeurs mais n’osent pas les afficher de peur des représailles ; en effet, il règne en France un « politiquement correct » engendré par le paradigme précédent, et encore très prégnant.
C’est un encouragement à innover en surfant sur cette nouvelle vague émergeante.
Ecrit par : Yves Michel
Posté par : Sophie Demol
Article concernant : Rapport d'innovation Courts circuits "la socio performance"
Publié sur : levidepoches/planningstratégique