Le Tour de France ne présente clairement plus aucun intérêt sportif, et quel que soit le vainqueur dimanche prochain, le jaune de son maillot sera bien terne. En revanche, il fournit un véritable cas d'école pour comprendre le mécanisme d'un travers humain répandu : le mensonge. Car il faut bien dire que certains coureurs cyclistes et d'autres nombreux acteurs de la caravane du Tour offrent un spectacle particulièrement gratiné dans ce domaine. L'exemple de Vinokourov et de sa réaction après l'annonce de son contrôle positif est édifiant. Qu'il ose suggérer que la transformation de son organisme et de son sang est due à sa chute laisse pantois tant cette "explication" est proprement incroyable. Plus que le mensonge en lui-même, c'est le culot d'oser une telle sortie qui abasourdi. C'est l'écart immense qu'il dresse ainsi entre le crédible et son propos. Et c'est aussi l'idée qu'il puisse sans sourciller mentir d'une façon aussi grotesque. La question qui se pose est donc : comment peut-il mentir ainsi ? Certains seraient sans doute tentés d'expliquer cela simplement par la malhonnêteté foncière de ces personnes. Comme la caractère d'individus fondamentalement mauvais, et qui mentent sans scrupules, n'ayant en tête que leur seul désir de gloire et d'argent. D'une certaine façon, on ne peut pas vraiment dédouaner le monde du cyclisme de cette accusation. Mais elle me semble en fait passer complètement à côté du vrai problème. Car pour mentir aussi effrontément, il faut à mon avis bien autre chose qu'une nature mauvaise, dont je ne pense pas qu'elle soit plus l'apanage d'un sportif que des simples quidams. Non, ce qu'il faut pour mentir ainsi, même si cela semblera un peu paradoxal à première vue, c'est pouvoir penser qu'on ne ment pas vraiment, c'est se sentir bien avec sa conscience au coeur même du mensonge. Souvenez-vous vous-mêmes, dans quel état émotionnel vous vous êtes retrouvés lorsque vous avez sorti un gros mensonge, alors que vous étiez en pleine connaissance de ce que vous faisiez. C'était désagréable n'est-ce pas? Et vous souhaitiez vraiment que cela finisse vite, que vous puissiez penser à autre chose et fuir la réalité laide que vous étiez en train de créer. Oui mais vous avez ressenti cela parce que vous fondamentalement vous êtes quelqu'un de bien vous dites-vous ? Il est possible que je me trompe, mais je ne crois pas vraiment à cette explication. Car le mensonge fonctionne en nous comme un élément qui nous coupe des autres, qui nous en éloigne en créant des barrières. Et ces barrières c'est en fait tout simplement nous qui les posons pour nous protéger de deux choses : d'avoir à maintenir notre comportement mensonger devant les autres, ce qui est peu supportable à long terme, et afin de ne pas être démasquer si ceux-ci se rapprochent trop de nous et qu'en se rapprochant ils parviennent ainsi à faire la lumière sur nous et à nous démasquer. Or cette exclusion sociale que nous créons ainsi lorsque nous mentons, notre nature propre, elle, la fuit, elle ne la supporte pas, ou que trop peu (les anti-sociaux déclarés maintiennent eux aussi un contact social avec quelques proches, même si celui-ci est minime parfois). Pour mentir de façon aussi excessive donc, il me semble presque nécessaire que l'individu ne se trouve pas dans une position où il se sent trop radicalement exclu du groupe social auquel il appartient. Il lui faut y maintenir un équilibre, une stabilité, une sécurité émotionnelle. Sinon, son comportement ne peut pas se maintenir d'une façon aussi stable sur une durée aussi longue alors même qu'il ment. En bref, il faut qu'au sein de son groupe social, il se sente normal, et donc accepté tel qu'il est. S'il ne s'y sentait pas normal, il en partirait de lui-même au bout d'un certain temps, cela me semble quasiment certain. On comprend sans mal où je veux en venir. Les mensonges des cyclistes tels que Vinokourov ne pourraient pas exister s'ils n'étaient pas plongés dans un milieu qui lui-même ment. Il faut que leurs comportements soient admis d'une façon ou d'une autre comme une habitude, comme une normalité, pour qu'ils puissent mentir à leur sujet avec autant d'aplomb. Si eux-même se sentaient par trop différents des autres, ils ne parviendraient pas à mentir ainsi, ils s'effriteraient en mentant, ils ne tiendraient pas un comportement aussi stable et aussi résistant. Il faut que d'une certaine façon, ils se sentent dans leur bon droit, ou plutôt, qu'ils ne ne sentent pas plus coupables que les autres.
Ils fonctionnent ainsi à plein par un processus de déni, comme l'alcoolique surpris une bouteille à la main et empestant l'alcool, qui jure ses grands Dieu qu'il n'a jamais bu de sa vie. Ce déni qui est la marque des menteurs qui se sont créé une réalité certe bien éloignée de la vérité, mais qui n'en reste pas moins leur vision de la réalité. Lors de ma première expérience professionnelle j'avais travaillé quelques temps avec un jeune en BTS de comptabilité, qui sortait tout juste d'un parcours de futur cycliste professionnel. Il nous avait expliqué en détail comment le dopage intervenait dés l'apprentissage des jeunes, dés le niveau amateur, et comment un de ses amis proches en était mort, à 16 ans. Cette semaine, c'est un autre collègue qui nous a raconté comment, alors qu'il faisait quelques simples concours départementaux il y a quelques années, il avait pris l'habitude de prendre un tube et demi de guronsan avant chaque course, afin de "pédaler sans y penser" (pour info un coureur est considéré comme dopé au guronsan à partir d'une consommation de 3 tubes...). Et à quel point la résistance des meilleurs était déjà clairement louche. Au niveau départemental. Et à côté des coureurs, il y a les équipes, les médecins, les organisateurs, les fédérations. Il suffit d'entendre ce soir encore les organisateurs du Tour défendre la poursuite de la course pour comprendre que leur logique n'est toujours pas celle de personnes responsables et honnêtes vis-à-vis du problème qui est devant leurs yeux, mais qui restent obnubilés par la logique économique de l'événement. Intérrogé sur la poursuite du Tour, le directeur d'ASO indiquait ainsi ce soir, dans un numéro de hors-sujet sidérant, qu'il fallait bien sûr continuer de lutter contre le dopage, qu'arrêter le Tour c'était arrêter la lutte anti-dopage, etc. mélangeant ainsi à l'envie deux thématiques différentes, au mépris de la compréhensibilité même de son propos. Clairement sa défense montre qu'il n'a pas d'autres arguments en tête que ceux qui sont purement économiques. On sent qu'il n'a pas le choix. Qu'il pense qu'il n'a pas le choix en tout cas. Il suffit aussi de voir la pléïade d'anciens dopés qui interviennent comme consultants sur le Tour, d'écouter les anciens coupables, comme David Millar, s'offusquer des tricheurs découverts cette année, de lire les articles de presse qui s'extasiaient hier sur les performances des coureurs, et qui aujourd'hui se félicitent du départ de Rasmussen, relayés sur ce point par maintes commentateurs officiels, comme si l'éviction d'un seul coureur pouvait suffire à rendre sa pureté à l'épreuve. De voir aussi ce soir le reportage de la chaîne télé de l'équipe, qui, l'air de rien, montre en fond d'écran un sondage récupéré quelque part sur un site Internet italien ou espagnol dans lequel les personnes interrogées sont majoritairement favorables à la poursuite du Tour en livrant un commentaire neutre qui dit juste en substance que "certains sites interrogent même leurs lecteurs sur le fait de poursuivre ou non le Tour !" mais délivrant en filigrane le message "mais vous avez vu, ils ont l'air plutôt pour". Sur les sites français que j'ai rapidement lu, je n'ai vu que des sondages négatifs sur cette question. Mais on connait les liens économiques qui unissent L'Equipe au Tour de France. Je ne suis pas un spécialiste du Tour, je ne cherche pas à faire semblant du contraire. Mais quand autant de faisceaux de présomptions montrent une telle convergence, cela forme des convictions. C'est une machine complète qui doit être modifiée, et bien au-delà de ce que les organisateurs du Tour, à l'instar d'un Christian Prudhomme, prônent, puisque lui-même affublé de son compère d'ASO continue à mettre la tête dans le sable en ne disant pas la vérité telle qu'elle est, en ne reconnaissant pas ce que beaucoup savent : le Tour, s'il n'est plus dopé, ne sera plus le Tour, ne rapportera plus autant d'argent, ni aux sponsors ni aux médias. Car les performances qu'on y verra seront bien moins impressionnantes. On l'a d'ailleurs déjà entrevu étrangement cette année, lorsqu'au début du Tour, aucun champion écrasant la course ne se détachait du lot, au grand dam des journaux qui savent que les exploits font plus vendre que la probité.