Sula Traduction : Pierre Alien
Deuxième roman de Toni Morrison, "Sula" est également un roman court - pas même deux-cents pages en 10/18 - centré sur l'amitié unissant deux fillettes noires dans la petite ville de Medaillon.
La fillette la plus calme, la plus sage, la plus solide et certainement la plus conformiste, c'est Nel. Fille d'Hélène, une belle femme fermement élevée par sa grand-mère, petite-fille d'une prostituée qu'on entrevoit un peu au début du roman, Nel n'avait jamais eu d'amie jusqu'à ce que Sula entre dans sa vie.
Si le foyer de Nel est tranquille et bien rangé, un peu froid aussi peut-être, celui de Sula est plus que fantaisiste. D'abord, c'est une maisonnée presque exclusivement composée de femmes et d'enfants. Au centre, Eva Peace, la grand-mère, la matriarche, une maîtresse-femme qui, se retrouvant abandonnée par son mari avec de tous jeunes enfants, a eu le cran de placer volontairement sa jambe sur le passage d'un train afin de décrocher ainsi une indemnité substantielle qui a assuré leur avenir.
Ensuite, sa fille, Hannah, la mère de Sula. Une femme joyeuse et bonne-vivante qui va d'aventure en aventure mais à qui on ne peut pas vraiment en vouloir longtemps.
Puis Sula, ses silences, sa façon curieuse de concevoir le monde qui l'entoure, son désir d'être elle-même et personne d'autre.
Les enfants plus ou moins adoptés par Eva et Hannah, des garçons à qui Eva donne toujours le même prénom, "Davie", dans une répétition qui finira par le transformer en nom générique : "les davies."
Et enfin, revenu des tranchées en France mais devenu complètement "accro" à l'héroïne et à l'alcool, Plum, le dernier-né d'Eva.
Cette maison ouverte à tous les vents fascine la petite Nel et comme Sula plaît à sa mère, qui ne la trouve pas trop "noiraude", leur relation se fortifie au fil des ans.
Quand Sula part poursuivre ses études, Nel ne l'oubie pas et est persuadée que la réciproque est vraie. Et quand Sula revient, belle, élégante, je-m'en-foutiste, tout semble recommencer comme avant.
Jusqu'au jour où ...
Il y a, dans ce livre, un mélange si intime de joie et de tristesse qu'on a du mal à préciser l'impression définitive qu'il laisse à son lecteur. Joie pour toute la beauté des jours enfuis et de la nature qui, en fleur ou en deuil, ne connaît pourtant pas la mort. Tristesse pour le destin vindicatif qui s'acharne et s'acharne encore, demandant toujours plus à ses protagonistes non seulement lorsqu'ils sont confrontés aux inégalités raciales mais aussi lorsqu'ils se retrouvent livrés à eux-mêmes.
Egocentrique, haïssable, fascinante, Sula Peace, qui donne son nom à cet ouvrage, passe là-dedans comme une énigme qui piétine manichéisme, conformisme et bonnes intentions. ;o)