Dingo - Octave Mirbeau

Par Zorglub

Présentation de l’éditeur :
Un ami anglais envoie un jour au narrateur un présent inattendu: un chiot venu d’Australie, Dingo. Dérouté, puis emballé par l’allure étrange, la personnalité subtile et l’humanité de son chien, le narrateur apprend à se servir de lui comme d’un prisme à travers lequel il observe et juge ses concitoyens.
Occasion de savoureux tableaux de mœurs à la ville et à la campagne, empreints de l’habituelle et irrésistible méchanceté de Mirbeau, les aventures et mésaventures de Dingo et de son maître sont à la hauteur de l’esprit alerte, caustique et formidablement clairvoyant de l’auteur du journal d’une femme de chambre et des Contes de la chaumière.

Un roman acerbe où Octave Mirbeau tire à boulets rouges sur ses contemporains ; paysan, maire, avocat, médecin, assassin, notaire, facteur, pauvre, le petit peuple, l’Homme… tout le monde en prend pour son grade. Le chien Dingo n’est qu’un prétexte a un savoureux et caustique tableau des mœurs de son époque ; le livre écrit en 1913 est d’une modernité incroyable. Un style maîtrisé de bout en bout, facile à lire, d’une incomparable précision ; Mirbeau utilise lui aussi les « … » (trois points), comme un certain Céline, toujours avec justesse. Je ne me doutais pas qu’un feuilletoniste puisse avoir une prose aussi admirable. Un chef-d’œuvre.

« Le chien naît misanthrope. » p.17

« Hélas ! j’ai eu dans ma vie assez d’amis, d’excellents, fidèles et très chers amis, pour savoir que l’amitié humaine n’est le plus souvent que la culture d’une domination ou l’exploitation usuraire d’un intérêt, d’une candeur, d’une confiance. » p.109

« Le crime, l’impardonnable crime des amitiés humaines, c’est, par l’habitude douloureuse que nous en avons, qu’elles nous font aussi douter du désintéressement des chiens. » p.110

«[…] Ben oui ! ben oui !… Qu’est-ce que vous voulez ?… Caresser sa femme tous les soirs… et un petit coup de fion, de temps en temps… On pense moins, pendant ce temps-là, à sa misère… Et puis, je vais vous dire… La bourgeoise… elle en veut… elle en veut… » p.189

« Je ne lui demandais pourtant que peu de choses, je ne lui demandais, à ce chien, que de devenir un homme. C’était si facile, il me semble. Il s’y refusa obstinément. » p.220-221

« Les chats ne sont pas vantards, comme les chiens et comme les hommes ; ils ne racontent jamais leurs histoires. » p.310

Les premières lignes :

Il y a quelques années - exactement neuf années, un mois et cinq jours -, la veille de Pâques, au matin, Vincent Péqueux, dit La Queue, qui fait le service des messageries entre la gare de Cortoise et le village de Ponteilles-en-Barcis, où j’habitais alors, me livra, venant de Londres, une boîte. De sapin grossièrement barbouillé de noir, son couvercle percé de deux ouvertures grillagées, cette boîte avait un aspect funèbre. Volontiers, on l’eut prise pour un menu cercueil d’enfant, ou pour un capot défraîchi d’automobile, ou encore pour un de ces consternants emballages dans lesquels les horticulteurs japonais expédient leurs pivoines en Europe. Pendant que j’examinais avec méfiance ce cu­rieux objet, Vincent Péqueux, dit La Queue, me présenta une feuille et une sorte de registre ouvert. - Tenez ! Signez là…, fit-il. Le port est payé. Tout est payé… Moi, avec votre permission, je vais dire deux mots à la cuisinière… Hein ? Il me laissa ses paperasses. Bien que la journée commençât à peine, il était déjà très gai… pas tout à fait ivre, mais en bonne voie de le devenir. - Oh ! se rappela-t-il soudain. J’ai encore pour vous, là-bas… à la gare, des poules… Ma foi, oui ! Trois forts paniers, vous savez… Et pas de place sous la bâche… Ma foi, non ! Je vous les apporterai ce soir, ou demain… Ah ! sacristi, pas demain, c’est Pâques. Enfin, un de ces jours. J’ai recommandé au chef des bagages de leur donner à boire et à manger… Un bon garçon… Je lui offrirai, sur votre compte, un petit verre pour la peine, pas vrai ?… Ne vous inquiétez pas… Je ne m’inquiétais pas, du moins je ne m’in­quiétais pas de cela. Fasciné par cette étrange boîte, je cherchais ce qu’elle pouvait bien contenir, et vraiment je ressemblais à ce paysan qui, ayant reçu par hasard une lettre, la considère avec terreur, la tourne, la retourne, la soupèse dans sa main, la montre à tous ses voisins, s’écrie : «Tiens !… tiens !… qu’est-ce qui m’envoie une lettre ?… Ah ! Bon Dieu, qu’est-ce qu’il y a dans cette lettre ?» et ne se décide pas à l’ouvrir. Moi, non plus, je ne pouvais me décider à ouvrir la boîte, pour voir ce qu’il y avait dedans. La feuille d’envoi mentionnait bien ceci : Chien vivant. Mais, en plus de mon nom et de mon adresse, elle n’indiquait que le nom et l’adresse de la maison anglaise de Messageries chargée de l’expédition. Rien d’autre. Rien d’autre que des rangées de chiffres en diagonale; ici et là, des opérations d’arithmétique, auxquelles je ne com­prends jamais rien. Et puisque tout était payé… Tout était payé, sans doute ; c’est ce qui me pa­raissait le plus louche. De qui me venait ce chien ? Et pourquoi un chien, un chien qu’on insistait à qualifier de vivant ? Quelle bêtise ! 

Editions  Le Serpent à plumes / Motifs - 409 pages