Dans un monde où la violence physique, symbolique et morale, est à son comble, où l’exploitation des salariés par les capitalistes atteint des paroxysmes, dans ce monde où le racisme, la guerre, la mort, la maladie ont plus souvent droit de cité que la fraternité, la solidarité, le respect de la dignité humaine...l’élection de Barack Obama, noir, jeune, séduisant, charismatique, après 8 ans de Bush ( cela, la guerre en Irak, et MacCain-Palin, c’est aussi une partie du socle de la victoire d’Obama) peut apporter, c’est compréhensible, une note de joie et d’espoir dans le cœur de nombreuses personnes, au-delà même des frontières américaines.
Avec la maestria que l’on connait au pays du cinéma et des stars hollywoodiennes, voici donc l’élection triomphale enfin, d’un représentant de la communauté noire aux USA.
Sorte de remake de l’élection de John Kennedy, le jeune catholique élu dans un pays majoritairement protestant.
"Aux USA, tout devient possible"...
Comme a dit Obama lui même dans son discours cette nuit : "C’est le triomphe de notre démocratie". Et ce "NOTRE DÉMOCRATIE" a douché le petit plaisir que je pouvais ressentir.
«"Si jamais quelqu’un doute encore que l’Amérique est un endroit où tout est possible, qui se demande si le rêve de nos pères fondateurs est toujours vivant, qui doute encore du pouvoir de notre démocratie, la réponse lui est donnée ce soir"».
Voilà. C’est dit.
On peut croire qu’Obama ne parlait que de la démocratie américaine, moi, je dis qu’il parlait aussi de la victoire de la démocratie bourgeoise.
Il y a quelques jours à la télé, je regardais un reportage sur les coulisses de ces élections, je voyais les visages baignés de larmes de nombreux Afro-américains aux réunions publiques d’Obama, leurs yeux emplis d’espoir, et dans ma tête résonnait le "free at last, free at last ! Thank God Almighty, we are free at last !" ("enfin libres, enfin libres ! Merci Dieu Tout Puissant, nous sommes enfin libres !") de Luther King.
Bizarrement, je ne pouvais pas m’empêcher d’avoir le cœur serré. Et ce n’était pas de l’espoir ni de la joie. Mais plutôt la peur que tous ces gens soient finalement déçus.
Oh, pas tout de suite, pas dans l’immédiat, non. Mais plus tard.
D’une certaine manière, je ne pouvais m’empêcher de faire le parallèle entre l’énorme engouement, la ferveur et la liesse populaires qui suivirent l’élection de François Mitterrand en mai 1981...et ce que nous vivons aujourd’hui.
Je me disais : "Tous ces gens méprisés, pourchassés, ostracisés, esclavagisés, assassinés même parfois, depuis des siècles, sur des générations, comme je comprends leur envie de voir ce qu’ils estiment être l’un des leurs accéder à la fonction suprême aux USA...".
Oui c’est légitime, c’est compréhensible, de penser que c’est l’heure de la reconnaissance, de la revanche même.
La fin des tourments et des discriminations.
Venait ensuite, après ce reportage sur les coulisses des élections, un documentaire exceptionnel de Stacy Peralta ("Made in America") sur l’histoire de l’affrontement éternel des "Crips" et des "Bloods" autour de Watts, quartier de Los Angeles célèbre pour ses émeutes depuis 1965.
Et bizarrement "l’effet Obama" s’estompait dans nos têtes tandis que nous regardions cette histoire.
De nombreux vieux leaders historiques de ces gangs, proches des Black Panthers à l’origine, retraçaient leurs réflexions, disaient leur colère intacte, dénonçaient l’arrivée du crack (drogue arrivée "comme par hasard" en même temps ou presque que la liquidation de tous les leaders politiques et classistes de la communauté noire aux USA), qui transforma leurs "clubs" en "gangs" sanguinaires au travers desquels des "Noirs, des exploités à double titre, s’entretuent entre eux désormais"...
On a la gorge serrée, un peu plus.
Retour sur Obama, quelques jours plus tard, cette nuit, élu 44ème président des Etats Unis.
Images calées au millimètre,visions léchées, nettes, propres, la propagande bat son plein. Barack, son épouse Michelle, leurs deux filles, Jesse Jackson en larmes...
Mon cœur oscille entre colère et joie. Je ne sais pas sur quel pied danser.
Mes sentiments primaires me disent de me réjouir, mais il y a une petite voix intérieure qui me dit "Ne cède pas à cette hystérie collective".
A titre personnel, c’est vrai que l’engouement mystique, charismatique, et "communautariste", j’en ai déjà été victime avec la candidature à la candidature de S. Royal quand j’étais encore au PS. Je ne peux pas faire deux fois la même connerie. Je suis devenue méfiante vis à vis de tout ce qui, politique, prétend parler d’abord "à mon cœur".
Finalement, je tranche.
Bien sûr, je comprends la joie et la fierté de toutes mes amies et de tous mes amis d’origine étrangère (Français ou pas), de ceux dont on "voit encore" qu’ils viennent "d’ailleurs". Comme ils le disent eux même "ma gueule d’Arabe", "ma gueule de Noir".... Je comprends que pour eux le symbole est énorme.
Mes amis, oui je vous comprends. Goûtez votre plaisir.
Mais ne prêtez pas plus à Barack Obama que cette victoire symbolique, victoire qui d’ailleurs n’est pas la sienne, et n’est pas non plus la vôtre.
C’est la victoire d’un système. Un système qui, grâce au fric, aux médias, recycle et transforme tout ce qui le dérange en symboles positifs, à son profit.
Eux appellent cela démocratie, j’appelle cela dictature.
On va me traiter de pisse froid, d’amer, de Cassandre.
J’aimerais bien pouvoir juste me réjouir sans entrave, ajouter une belle page de lyrisme à toutes celles déjà écrites dans le monde entier, faire assaut d’éloquence pour célébrer cette élection "historique".
Je n’y arrive pas, cependant.
Je rappellerai juste que N. Sarkozy est un enfant d’immigré, qu’il en a même fait les frais dans les attaques racistes d’un Le Pen pendant la campagne, qu’il a été marié avec une femme (Cécilia) qui se vantait de ne pas "avoir une seule goutte de sang français dans les veines", et que sa nouvelle épouse, Carla, est italienne et plutôt cosmopolite, mais aussi, qu’il n’ y a jamais eu autant de Fadela, Rama, Rachida... de "blacks", de"beurs" au gouvernement en France.
Et qu’on en a jamais autant chié.
Qu’on soit black, blanc, beur, ou jaune. Rachida Fadela, Rama.... cohabitent finalement parfaitement avec Hortefeux, Fillon , Bertrand et cie.
Obama attire la sympathie, ça ne signifie nullement qu’il soit sympathique.
Obama est "popular", comme on dit dans les "colleges" américains, ce qui ne signifie nullement qu’il vienne du peuple, ni même qu’il le représentera.
Et s’il dit bien vouloir "finir la gerre en Irak", il a aussi demandé à l’Europe d’accroître la présence de ses forces militaires en Afghanistan...
De mon point de vue donc, et hélas, l’élection de Barack Obama, c’est surtout la victoire du faux-semblant, de la manipulation médiatique, le triomphe du pathos sur la raison et l’analyse.
Évidemment, je n’en attends rien en tant que travailleur en France, ni en tant que militante engagée depuis des années dans la lutte contre le racisme et le postcolonialisme, en tout cas, rien de bon.
Je pense même que, comme toute manipulation des capitalistes, elle va se retourner fatalement contre ceux qu’elle aura prétendu servir et sur lesquels elle se sera appuyée pour avancer ses pions.
Obama, c’est la figure moderne du "Good Niger", le "bon nègre" du point de vue capitaliste, c’est à dire celui dont on sait qu’il va défendre et garantir le système mieux qu’un autre, précisément parce qu’il est un de ceux qui, en toute logique, aurait du en souffrir le plus, mais que, finalement, lui, il a été accepté, ou disons, reconnu, comme ceux qu’a pu peindre Margaret Mitchell dans "Autant en emporte le vent".
Les filières spéciales dans les grandes écoles qui forment à l’infini l’élite de la nation n’ont, en France, pas d’autres objectifs.
Le capitalisme est encore en train de marquer des points, et à échelle mondiale, car ce qui se passe aux USA affecte toujours le monde entier, directement ou indirectement.
Je me demande aujourd’hui combien nous allons payer ce nouveau travestissement idéologique.
La victoire d’Obama, c’est beau en apparence, sans doute, mais hélas, c’est aussi de la poudre aux yeux capitaliste dispensée à échelle mondiale.
La victoire d’Obama, pour moi, c’est une défaite dans la lutte contre le capitalisme et c’est une défaite travestie en victoire, ce qui va la rendre encore plus difficile à dénoncer...