"Êtes-vous encore anti-américains ?" C’est sans doute ce que le nouveau Président américain demandera à ses futurs interlocuteurs européens.
Il aura fallu attendre un peu avant 4 heures GMT ce 5 novembre 2008 pour être assuré de l’élection de Barack Obama comme
44e Président des États-Unis (pour les derniers résultats, voir à ce lien).
La joie et l’émotion partout aux États-Unis et débordant même au-delà des océans donnent la mesure de cet événement mondial.
Cette élection est historique : elle clôt définitivement l’ère Bush qui a sinistrement régi les affaires internationales depuis sept ans. Elle
donne la parole à l’autre Amérique, celle des jeunes, des minorités, des peu aisés…
Une démocratie majeure
Le déroulement de ces élections a été exemplaire et la victoire si large qu’aucune contestation n’est possible : près d'une centaine de grands
électeurs de plus que nécessaire, 5% d'avance nationale. John MacCain a d’ailleurs très sportivement reconnu
sa défaite dix-huit minutes après les premières annonces de la victoire d’Obama et a même demandé à ses supporters d’aider le nouveau Président dans sa tâche difficile. Il n’a reçu comme réponse
que sifflements et huées…
Pas de fraude électorale. Pas de Ben Laden réanimé pour l’occasion. Pas d’attentat. Pas de coup d’État. Pas d’état d’urgence.
Bref, une vraie démocratie. Une grande démocratie.
C’est le premier enseignement : les États-Unis ont toujours été et demeurent un exemple de la démocratie.
L’élection de MacCain dans les mêmes conditions n’y aurait d’ailleurs rien changé.
Blanc seing
Le second enseignement, c’est qu’il faudra laisser à Barack Obama le bénéfice du doute lorsqu’il va commencer à agir au niveau international. Et la
"vieille Europe" n’aura alors plus aucune raison objective de conserver un anti-américanisme qui a beaucoup pollué ses relations avec les États-Unis.
Non seulement Barack Obama est élu à 47 ans sans ambiguïté à la Maison Blanche, mais son parti, les Démocrates, viennent également de renforcer leur majorité au Congrès en gagnant 5 sièges au Sénat (dont celui d’une ancienne ministre et épouse de
l’ex-candidat républicain Bob Dole), mais également 18 sièges à la Chambre des Représentants. C’est le grand
chelem.
C’est dire que Barack Obama aura de solides alliés au Congrès et aura donc sous sa responsabilité un grand pouvoir (rappelons que c’était l’un des
arguments lancés par les Républicains pour ne pas voter Obama : éviter d’avoir un Congrès et un Président d’une même couleur politique). Un Président démocrate avec un Congrès
démocrate ? Depuis trente ans, cela ne s’est produit qu’une fois entre 1992 et 1994.
C’est dire que le peuple américain qui a choisi Obama aura beaucoup d’attente. Sans doute sera-t-il déçu s’il projette en Obama toutes ses illusions.
Obama est avant tout un homme de raison et il ne fera pas de miracle.
Miraculeuse campagne
Pas de miracle ? Pourtant, Obama est un véritable miraculé. Et son concurrent républicain aussi est un miraculé. Cette élection présidentielle
est en quelques sortes l’un des miracles de la démocratie américaine.
Rappelez-vous, il y a un an, en octobre 2007, lorsque Al Gore
recevait son demi Prix Nobel de la Paix, quels étaient les pronostics ? Que le combat présidentiel se ferait probablement entre Rudolph Giuliani, ex-maire de New York à l’époque du 11
septembre 2001, et la sénatrice Hillary Clinton, épouse de l’ancien Président. Et on ne doutait pas d’une victoire d’Hillary Clinton qui rassemblait à la fois expérience, intelligence et bonne
intégration dans l’establishment.
Mais c’était sans compter la légèreté de campagne de Giuliani (peut-être par maladie) et surtout la solide détermination de Barack Obama.
C’est assez intéressant de voir le documentaire de portraits
croisés des deux candidats diffusé sur Arte le 4 novembre 2008.
Isolé mais adoubé
Le documentaire rappelait que John MacCain revenait de loin. D’un scandale en 1988 où il a été blanchi. Et aussi de ces primaires de 2000 où il
s’était mis à dos tous les conservateurs religieux. En début 2008, tout allait mal pour lui. Il venait de dépenser ses derniers millions alors que sa popularité chutait, et il venait à peine de
commencer une campagne mal orchestrée, avec des permanences partout et plus de 150 employés. Il a allégé la voilure et a continué ses déplacements en charter, accueilli bénévolement par un
supporter avec sa propre voiture etc.
L’habilité politique et la persévérance de John MacCain lui ont permis de vaincre des candidats très conservateurs (Mitt Romney et Mike Huckabee) et
de devenir, lui, l’électron libre, le candidat officiel du Parti républicain adoubé par George W. Bush. Par défaut, car quel républicain voulait-il succéder aux mandats désastreux de Bush
Jr ? Ni Dick Cheney, ni Colin Powell, ni Condi Rice…
Inconnu mais ambitieux
Du côté des Démocrates, au contraire du vide, c’était le trop plein. Obama n’est connu nationalement qu’à la Convention démocrate qui a investi John
Kerry en été 2004. Cette notoriété fut mise immédiatement à profit en se faisant élire sénateur de l’Illinois en novembre 2004.
Et dès 2006, il décide d’être candidat à l’élection présidentielle. Il aurait pu attendre encore un ou deux mandats, grandir dans l’ombre d’une
Hillary Clinton Présidente. Non, il veut être candidat pour une raison simple : il est ambitieux.
Or cette ambition oubliait son origine métissée de père africain et de mère américaine. Une couleur de peau qui, pour lui, ne signifie rien. Mais qui
aurait pu être un gros handicap électoral.
Il a réussi à le surmonter tant face à Hillary Clinton pour les primaires démocrates que face à John MacCain pour l’élection elle-même.
Beaucoup de monde ont tenté de lui coller l’étiquette communautariste noire. Alors que lui-même ne se définit que comme un représentant de la
mondialisation. Ceux qui voulaient l’enfermer dans une question raciale étaient autant ses adversaires que ses amis. Il a réglé une bonne foi pour toutes cette question dans un discours célèbre et en remportant l’État de l’Ohio pendant les primaires, représenté essentiellement par des
ouvriers blancs.
Ne pas faire de la figuration
À la différence du pasteur noir Jesse Jackson, candidat aux primaires démocrates en 1984 (face à Walter Mondale pour combattre Ronald Reagan), Barack
Obama n’a jamais voulu témoigner. Avoir une candidature de témoignage pour montrer la force des communautés qu’il représenterait, ce n’était pas son truc.
Obama est l’ambitieux, pas le témoin. Il s’est présenté pour gagner. Là où le témoin aurait été déjà très satisfait (gagner déjà les primaires,
arriver favori à une élection), lui ne pouvait qu’attendre une victoire.
L’année 2008 marquée par cette obamania universelle
La victoire d’Obama est même justice. Il y a rarement concordance entre élection et justice. Même Churchill a été renvoyé après la guerre par son
peuple.
Mais c’est clair que toute la campagne présidentielle depuis le début des primaires a été rythmée par la démarche de Barack Obama. La mobilisation de
nombreux abstentionnistes, ou l’inscription massive sur les listes électorales de jeunes, cet éveil démocratique a eu pour origine ces discours très messianiques d’Obama.
Toutes les clefs en main
Barack Obama a tout pour réussir son premier mandat. Une élection confortable. Des félicitations sincères et enthousiastes de tous les coins du
monde. Une forte majorité au Congrès. Un crédit politique immense.
Il n’a plus qu’à s’atteler à ses tâches. Qui sont, elles, quasi-surhumaines : crise financière, écologie, énergie, santé, éducation, Irak,
Afghanistan, lutte anti-terroriste…
Parmi les premières décisions qu’il prendra, le choix de ses collaborateurs, de ses ministres et son comportement pendant le long passage de relais
qui durera plus de deux mois, seront les premiers signes d’une gouvernance… peut-être différente (ou pas).
Welcome President Obama, America is back …or is black ?!
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (5 novembre 2008)
Pour aller plus loin :
Les résultats de l’élection présidentielle du 4 novembre
2008.
Les résultats des élections du Congrès.
Pourquoi Obama ?
Portraits croisés Obama-MacCain.
MacCain reconnaît sa défaite.
Boîte à outils pour mieux comprendre ces élections.
Premières déclarations du Président Obama.
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=46779
http://www.lepost.fr/article/2008/11/05/1316804_obama-la-victoire-d-un-homme-presse-et-d-un-monde-stresse.html