Max Weber affirmait que la culture, notamment d’origine religieuse, avait favorisé le capitalisme ; Karl Marx affirmait que non. Samuel Huntington affirme que dans le monde subsistent 8 ou 9 grandes civilisations ; le modernisme sociologique affirme que non et que l’américanisation culturelle est l’autre nom de la mondialisation. Francis Fukuyama affirme qu’une société est d’autant plus capable à affronter la concurrence mondiale qu’elle fait preuve de confiance sociale en son sein ; la théorie du complot, fort médiatique chez ceux qui ont fait peu d’études, prétend que seuls les riches pétroliers texans néo-cons vont dominer le monde. Preuve que non : Barack Obama, métis intello social est élu. Les enquêtes du World Value, depuis 1981, portent sur les trois-quarts de la population du monde ; elles donnent les faits, pas les fantasmes.
Ces faits sont les suivants :
• Le monde est bel et bien divisé en zones culturelles à base historique, dont la religion forme le résumé le plus fort. Même si d’autres facteurs historiques jouent : un Catholique allemand sera plus Allemand que catholique, un Noir américain plus américain qu’Africain, etc.
• La modernité est source de sécularisation, sans que disparaissent les écarts culturels ou de civilisations. La religion recule dans la société (pas forcément dans les croyances) parce qu’elle jouait hier, dans les sociétés agraires, un rôle dévolu aujourd’hui aux écoles, aux medias, aux partis, aux institutions sociales et culturelles.
• Le développement du niveau de vie est propice à une plus grande confiance dans la société et entre les gens, même si certaines cultures partent de plus loin pour des motifs historiques (ex. la France - particulière « société de défiance » par rapport à ses pays voisins). Les sociétés protestantes et confucéennes sont beaucoup plus confiantes que les sociétés catholiques ou islamiques. Selon Robert Putnam, les bureaucraties hiérarchisées (style empire byzantin, église catholique, césarisme louis-quatorzien, bonapartisme, caudillisme, fascismes, socialismes), engendrant des comportements d’irresponsabilité et d’attente des ordres centralisés qui usent la confiance entre les personnes.
• Mais la modernisation n’est pas un phénomène linéaire ; peuvent se produire des régressions, surtout quand un choc politico-économique engendre une baisse du niveau de vie. Ex. Russie post-URSS, Chine paysanne contemporaine, États-Unis de George W. Bush.
• La modernisation, issue du modèle industriel, n’est pas le stade ultime de l’histoire. Celle-ci se poursuit et se poursuivra. La rationalité instrumentale des sociétés industrielles laisse place peu à peu aux valeurs « postmodernes » d’égalité, de protection et de bien-vivre ; l’économie de production laisse place au développement durable ; le savoir purement scientifique aux aspirations de religiosité personnelle.
• Le développement économique, le changement culturel et le changement politique vont de pair même s’ils ne sont pas identiques d’une culture à l’autre.
• Les sociétés de culture protestante sont plus avancées que les autres (hasard historique, pas essentiel) dans la modernisation – donc dans le changement des valeurs. Les sociétés catholiques n’acceptent qu’aujourd’hui des normes acceptées une génération plus tôt dans le monde protestant. Les sociétés islamiques ont une génération d’écart de plus. Le communisme a agi comme une religion dans les aires ou il a été historiquement présent.
• Le MacMonde est une illusion polémique, les restaurants McDonald’s qui existent à l’identique n’ont pas la même signification sociale dans les diverses civilisations. L’étude montre même que les États-Unis sont plus traditionnels que le gauchisme culturel ne veut bien le croire. La Suède et les Pays-Bas apparaissent plus modernes et postmodernes que les USA, même s’ils apparaissent moins dans les médias du fait de leur plus petite taille.
• A mesure du développement, génération après génération, les valeurs de la postmodernité semblent ouvrir à une évaluation positive de la diversité. Plus en sécurité matérielle, en confiance dans des sociétés apaisées, les individus acceptent mieux les étrangers, les comportements marginaux et les différences culturelles. Avec des régressions court terme d’attitude (pas sur le fond) dues aux récessions, crises et autres aléas économiques qui entame la sécurité morale.
La carte, construite par Ronald Inglehart et Chris Welzel, donne une vision globale des valeurs mises aux jours par les enquêtes du World Value Survey dans le monde d’aujourd’hui. Elles peuvent être classées selon deux critères :
1. valeurs traditionnelles (bas du tableau) contre valeurs rationnelles sécularisées (haut du tableau),
2. valeurs de survie (gauche du tableau) contre valeurs d’expression de soi (droite du tableau).
Les sociétés les plus « modernes » se retrouvent donc en haut à droite de la carte : les plus sécularisées, les plus attachées à l’épanouissement de l’individu, même avec une pression sociale et des impôts forts (Suède, Norvège, Japon), les plus soucieuses d’environnement et de qualité de vie.
Les sociétés anglo-saxonnes forment un groupe plus traditionnel, moins sécularisé. La tradition a toujours été importante dans la culture anglo-saxonne, via la jurisprudence, les soft institutions, le faible étatisme, la prolifération des sectes religieuses.
Les sociétés ex-communistes (et ex-orthodoxes) sont proches des sociétés catholiques, à un niveau de développement moindre. Il n’y a pas de groupe « islamique » vraiment différencié, mais un groupe proche du groupe africain, à faible niveau de développement et à fort pouvoir traditionnel. Dans ce groupe, le Pakistan apparaît d’ailleurs plus « moderne » que l’Algérie…
Argoul est rédacteur du blog Fugues & fougues