Edition Arléa "1er Mille"
Voici le deuxième roman d'une écrivain bien particulière puisque Marie Sizun, ancienne professeur de lettres classiques, a commencé à publier à la retraite, à 65 ans.
Roman très émouvant d'un amour fusionnel après la guerre entre une petite fille et sa mère qui vivent toutes les deux dans un petit appartement près du métro Saint-Paul. Père absent, grands-parents fâchés avec la maman et une tante entre les deux foyers...
Bientôt, la petite Marion comprend que Fanny, sa maman, est "la femme de l'allemand", qu'elle a vécu une histoire d'amour avec un officier allemand ; elle a donc rompu avec sa famille qui l'a accusée de trahison envers la patrie.
Fragilisée par le départ de l'allemand et sûrement par l'épisode de la tonte après la libération, Fanny devient manio-dépressive : derrière la jolie femme douce, se cache un deuxième visage, une ombre, une bête féroce, la figure de la folie. La femme blessée devient incontrôlable.
Entre répulsion et amour fou, la petite Marion est partagée. Elle cherche à cacher à son entourage les rechutes de sa maman mais est bien obligée un jour d'appeler les médecins quitte à la trahir et à éprouver une profonde culpabilité...Au fur et à mesure, la petite fille grandit ; elle se rend compte que le mal de sa mère est inéluctable...
Ce roman est davantage qu'un énième récit sur l'après-guerre et sur les conséquences d'une relation franco-allemande. Même si cette histoire occupe une place importante, c'est d'abord et avant tout un portrait des relations entre une enfant et sa mère dépressive, qui sombre dans la folie. Même si elle est est intégrée dans un contexte historique précis, la description de cette relation atteint l'universel et peut concerner toute petite fille face à sa mère malade.
Nous apprécierons une narration originale, à la deuxième personne du singulier, comme si la Marion adulte s'afressais à Marion enfant et adolescente.
Nous passons de l'amour fou à la répulsion, de la "raison" à la culpabilité qui malgré elle, oblige Marion à accepter l'internement de Fanny.
La relation mère/fille n'est jamais dite par des mots, puisque la mère appelle sa fille "Funny Face" et que Marion appelle sa mère par son prénom, Fanny.
Le plus émouvant est sans aucun doute la fin du récit où les rapports mère/fille s'inversent. N'oublions pas de merveilleux personnages comme la Tante Elisa, la vieille fille proche de Fanny qui l'aidera malgré tout et fera le "pont" entre Fanny et ses parents.
Le portrait de la mère est très poétique : elle est vue comme une artiste, une poétesse, quelqu'un qui n'est justement pas comme les autres. Comme le dit Marion, elle est la beauté, la folie alors que Marion est la raison et la laideur. Un portrait émouvant, tout en nuances, qui oscille toujours entre terreur et fascination.