Parler de Chantons sous la pluie m'a donné envie de (re)-regarder les films de Stanley Donen. Parce que c'est bien beau de toujours évoquer Gene Kelly dès que l'on parle de ce film, mais s'il n'y avait pas eu Stanley Donen à ses côtés qui sait ce qu'aurait donné Chantons…? Si on met côte à côte Mariage Royal et Hello Dolly! on peut se poser la question (oui je n'aime pas Hello Dolly!).
Bref tout ça pour en venir au fait que je me suis donc replongée dans la filmographie de ce cher Stanley ce qui me donne de la jolie matière pour un tas de billets. Mais avant de partager avec vous tous ces films très riches, voici un retour sur sa carrière avec le portrait que j'avais écrit pour FilmDeCulte dans le cadre de mon dossier sur la comédie musicale hollywoodienne.
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"For me, directing is like having sex: when it's good, it's very good; but when it's bad, it's still good." Ainsi va la carrière de Stanley Donen. Des films cultes parfaits assortis d’oeuvres mineures remplies de charme et d’humour. Doté d’une solide formation de danseur et de chorégraphe, il s’est toujours appliqué à donner du rythme à ses images, utilisant à merveille tous les outils techniques mis à sa disposition. Plus connu et reconnu pour ses prouesses dans le développement de la comédie musicale d’après-guerre, il s’est également pleinement investi dans le renouveau de la comédie romantique au cours des années soixante. Une carrière en deux parties, rythmée par les goûts du public et le développement de l’industrie cinématographique.
THE BROADWAY MELODY
Né le 13 avril 1924 à Columbia, passionné par la danse, Stanley Donen quitte sa Caroline natale à l’âge de seize ans pour Broadway. Dès son arrivée, il est engagé comme chœur chantant et dansant dans Pal Joey, mis en scène et chorégraphié par George Abbott. Le jeune Stanley a du talent et se fait aussitôt remarquer par la vedette de la pièce, qui n’est autre que Gene Kelly. Les deux hommes s’entendent à merveille. L’ego surdimensionné de l’un se marie parfaitement avec la simplicité de l’autre. L’un se plaît à être l’homme des premiers plans, l’autre est ravi de rester dans son ombre. De douze ans son cadet, Stanley considère Gene comme un grand frère. En 1941, Gene, devenu grande star de l’artère new-yorkaise, est propulsé comme metteur en scène et chorégraphe du nouveau show Best Foot Forward. C’est tout naturellement qu’il propose à Stanley de l’assister. La pièce est un succès et lorsque Arthur Freed, le plus grand producteur de comédies musicales de Hollywood, leur propose de la transposer sur grand écran, les deux hommes font immédiatement
route vers la Californie.
Pendant que Gene signe des contrats avec Freed, Stanley travaille sur l’adaptation comme chorégraphe (travail pour lequel il ne sera jamais crédité) et y obtient un petit rôle. L’histoire du trio le plus célèbre des films musicaux se met en place. 1944, Gene est en tête d’affiche aux côtés de Rita Hayworth dans La Reine de Broadway, de Charles Vidor, produit par Freed. Stanley devient assistant chorégraphe sur la plupart de ses films, dont notamment Escale à Hollywood (1945), dans lequel il signe la très célèbre scène de duo entre Gene et la souris Jerry (de Tom et Jerry), Living in a Big Way (1947) et Match d’amour (1949), réalisé par l’incontournable Bubsy Berkeley. Entre temps, Donen participe comme assistant chorégraphe à tous les films que Freed veut bien lui soumettre et rencontre ainsi les grandes stars du music-hall hollywoodien, de Mickey Rooney à Franck Sinatra, en passant par Cyd Charisse. Désormais membre à part entière de la section musicale de la MGM, appelé la Freed Unit, il est reconnu et apprécié de toute la profession. Ses idées chorégraphiques innovantes commencent à faire des émules, on lui confie les chorégraphies de séquences entières, voire même leur réalisation. C’est ainsi tout naturellement qu’en 1949, Freed propose à Gene et Stanley de réaliser leur premier film.
WHAT A WONDERFUL FEELING
Un Jour à New York est une grosse production qui se pose comme un quitte ou double pour le duo. Le casting rassemble Gene Kelly, Franck Sinatra et Betty Garrett, sur un scénario de Adolph Green (adapté de son succès de Broadway) et la musique est signée par Leonard Bernstein, ce qui se fait de mieux à la MGM à l’époque. Stanley, gonflé à bloc et très inventif, décide de quitter les studios hollywoodiens pour aller tourner dans les rues de New-York. Une première dans l’histoire de la comédie musicale. Les prises de vues de la ville sont superbes, les chorégraphies étonnantes (Gene Kelly dansant en roller sur un trottoir) et parfaitement maîtrisées. Le film est un succès et voit la naissance de la chanson New York, New York, chantée par Sinatra. Fort de cette nouvelle renommée, Stanley Donen est appelé par Arthur Freed pour réaliser en solo le film Mariage Royal, dont le premier rôle est tenu par Fred Astaire. Donen relève le défi. Il déjoue les lois de l’apesanteur en faisant danser la star sur les murs et le plafond de sa chambre d’hôtel. Le public et la profession sont émerveillés par l’inventivité visuelle du jeune cinéaste. En 1952, il retrouve Gene Kelly pour réaliser Chantons sous la pluie. Le film est un hommage aux anciens films musicaux, tout en en renouvelant le genre grâce aux chorégraphies audacieuses des deux hommes et devient la plus grande comédie musicale de tous les temps. Stanley Donen et Gene Kelly intègrent ainsi le cercle très fermé des grands réalisateurs de la Freed Unit, formant avec Vincente Minnelli et Charles Walters le quatuor le plus révolutionnaire des années cinquante. Mais le succès tapageur ne plaît guère à Stanley, lui qui a toujours eu l’habitude de se plaire dans l’ombre des grands, il a du mal à s’habituer aux pleins feux hollywoodiens.
Il décide alors de changer d’air, de revenir aux productions moins importantes, mais toujours de qualité. En 1953, il réalise Donnez-lui une chance avec Gower Champion, Bob Fosse et Debbie Reynolds. En 1954, il signe son deuxième grand succès musical, Les Sept femmes de Barberousse. Pour éviter qu’il ne tourne en extérieur comme il l’avait projeté, le producteur Jack Cummings lui accorde un budget des plus restreints. Mais Donen a plus d’un tour dans son sac. Il éclate les limites du genre en filmant ses chorégraphies drôles et aériennes en Cinémascope. Le résultat est époustouflant et le film est un triomphe. L’année suivante, il accepte de retourner travailler au sein de l’unité Freed aux côtés de Gene Kelly pour tourner une fausse suite de Un Jour à New York, intitulée Beau fixe sur New-York. Comme dans Barberousse, il utilise le cinémascope, signant une nouvelle chorégraphie d’anthologie: Gene Kelly et ses deux comparses dansent dans un petit square, des couvercles de poubelles métalliques coincés sous leurs pieds. Le film, qui se pose comme une critique de l’optimisme des comédies musicales et du développement de la télévision, est un cuisant échec. Stanley est piqué au vif, il quitte Freed et la MGM. A partir de 1957, il retrouve George Abbott et Bob Fosse pour réaliser des reprises de grandes pièces de Broadway, comme Pique-nique en pyjama et Damn Yankees. Mais les comédies musicales n’ont plus la côte à Hollywood et malgré la qualité de ses Drôles de frimousses avec Fred Astaire et Audrey Hepburn et autres Indiscret, il se voit obligé d’abandonner ce genre qu’il affectionne par dessus tout.
MAKE ‘HEM LAUGH
En dehors de la comédie musicale, Stanley Donen a du mal à trouver des sujets à la hauteur de ses envies et de son style très vivant. Il s’exile en Angleterre et ne se remet à la réalisation qu’à partir de 1960. Ses premières comédies romantiques, Once more with Feeling, Un Cadeau pour le patron et Ailleurs l’herbe est plus verte sont de petits succès totalement anodins, mais dans lesquels il commence à développer un nouveau concept, celui de la comédie romantique sophistiquée mêlée de suspense. Ce sont les deux ovnis Charade (1963) et Arabesque (1966) qui marquent son vrai retour en tant que réalisateur. Le premier, avec Audrey Hepburn et Cary Grant, se veut être une sorte de pastiche de La Mort aux trousses. Le second, mettant en scène Sophia Loren et Gregory Peck dans une intrigue invraisemblable, joue sur la déconstruction des images au travers de vitres et de miroirs. Les deux films sont volontairement artificiels et parodiques. Stanley Donen a trouvé un style qui lui est propre, l’utilisation intelligente du médium filmique. En 1967, il réalise son dernier grand chef-d’œuvre, Voyage à deux. Construit comme un kaléidoscope du temps, il est considéré comme le meilleur film de sa star Audrey Hepburn. Un réel bijou qui touchera le public lors de sa sortie.
Les années suivantes, Donen a du mal à se renouveler. Malgré le côté très moderne et travaillé de ses derniers films, son classicisme trop léché dérange le nouvel Hollywood, qui est en train de naître. Il signe en 1974 une adaptation ratée du Petit Prince, avec un caméo de Bob Fosse en serpent, avant de faire un dernier adieu à la comédie musicale dans Folie Folie. Tout lui échappe. En dernier recours, il s’essaye à la science-fiction en 1980 avec Saturn 3, le film part aux oubliettes. En 1984, il se retire du cinéma avec comme dernier film C’est la faute à Rio, une comédie romantique mettant en scène deux quadragénaires tombant amoureux de la fille de l’autre. N’ayant jamais abandonné son amour pour la comédie musicale, Stanley Donen est souvent appelé comme conseiller pour la télévision (il a entre autres chorégraphié l’épisode musical de la série Clair de lune en 1984) et participe régulièrement à des reportages sur le genre chéri d’après-guerre. En 1993, il s’est essayé à l’adaptation sur scène du célèbre film The Red Shoes, mais remporta un succès très mitigé. En 1998, l’académie des Oscars l’a récompensé pour sa carrière, pour fêter l’occasion le maître a livré sur la scène une petite démonstration de claquettes, égayant le public pour toute la soirée. La comédie musicale n’est pas morte, bien au contraire…
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