Il y a des paysans dépaysants. A tel point qu'on les filme pour le grand écran. Comme des espèces menacées, ces petites gens en voie de disparition. Cet été, j'avais aimé Yvette bon Dieu !, un documentaire de Sylvestre Chatenay tourné dans une ferme de Dolus-le-Sec, dans le Lochois. On y suivait le quotidien d'Yvette dans l'exploitation familiale de polyculture-élevage, quasi autarcique. Déjà, il y avait dans ce joli film un frère aîné au mutisme stupéfiant. Dans le dernier volet de la trilogie ethnographique de Depardon, La vie moderne, il y a d'abord ce paysage fabuleux de moyenne montagne, avec deux mamelons qui captent le regard, à l'horizon. Puis on retrouve ces paysans taiseux. Le silence y est aussi important que les mots, rares, pesés et calculés comme s'il ne fallait pas gâcher, à la manière de cette vie chiche et rugueuse qu'ils ne quitteraient pour rien au monde. Sauf Daniel qui, juché sur son tracteur, confie obstinément détester son métier, mais s'avoue incapable d'en trouver un autre. Dans cette galerie de personnages attachants, que l'on rencontre dans leur ferme, toujours au bout d'un chemin, il y a beaucoup d'abnégation. Un attachement à la terre impossible à comprendre pour qui n'est pas né fermier. Une façon de tripoter un Opinel sur une toile cirée. Je me suis demandé pourquoi ce monde-là pouvait fasciner. Certes, ces films ont valeur de témoignage face à la déliquescence de cette campagne désertée. Mais il y a autre chose. Pour avoir vécu, ou plutôt ne pas avoir survécu à la campagne, il y a cette façon de se retrouver seul face à soi-même et aux éléments naturels. Chose impossible en ville, où le silence, rien que le silence, n'existe pas. L'horizon non plus. Il y a ce fantasme du citadin de pouvoir vivre dans l'autosubsistance, à l'ancienne, en "cultivant son jardin", en se contentant d'un rien. Aucun besoin. Ça fait du bien. Dans ces films, on prend le temps. D'écouter l'autre, de répéter, d'observer et de se taire. J'y ai retrouvé le tic-tac du carillon que j'entendais chez ma grand-mère.