Jean-François Richet reste pour nous d'abord l'auteur d'Etats des lieux, film fait de bric et de broc, servi à l'époque par un excellent
Patrick Dell'isola, et qui traçait un portrait brûlant des quartiers ouvriers.
A l'époque d'ailleurs, Richet vilipendait La haine de Kassovitz (dans lequel Vincent Cassel brillait déjà) comme un film de "petit-bourgeois", si la mémoire ne nous fait pas défaut.
Et c'est avec une profonde satisfaction qu'on ressort de cette première partie de son Mesrine. En effet, Richet, tout en recourant à un cinéma nerveux, spectaculaire (ironiquement,
Natixis fait partie des financiers de cet opus consacré à un braqueur, mais est-ci étonnant?), réussit à mettre en accusation la machine à fabriquer des bandits.
Car qu'est-ce que ce Mesrine-là (incarné avec incandescence par Vincent Cassel)? Certes, un gamin de banlieue violent, brutal, mégalomaniaque. Mais c'est d'abord, murmure Richet, le produit d'une
série de faits politiques.
Le premier est la guerre d'Algérie lors de laquelle l'Etat français glorifia les tueurs les plus infâmes et somma une grande partie des jeunes appelés de se comporter comme des barbares.
Le second est le "milieu" et l'extrême droite - l'OAS en l'occurence - eux aussi des sous-produits de l'histoire politique française, depuis la reconstruction d'après-guerre et ses trafics
jusqu'au double discours tenu perpétuellement par les pouvoirs successifs sur "l'Algérie française", le racime d'Etat.
Ce n'est pas pour rien que Richet nous montre un policier exécuter froidement deux de ses membres : entre les moeurs de l'Etat et celles des barbouzes et autres proxénètes, il n'y a guère de
marge.
Puis c'est l'exploitation capitaliste qui est mise en cause, d'abord le refus par le jeune Mesrine d'un travail aliénant et mal payé, mais aussi son licenciement ultérieur, qui replonge le
jeune Mesrine de manière décisive dans le cloaque d'où il essayait de s'extraire.
Ajoutons-y une forte dose d'univers carcéral étouffant, meurtrier, terrifiant, cette "prison modèle" canadienne qui illustre parfaitement le texte du groupe Trust : "c'est dans tes
prisons qu'on fabrique le crime"; on a même droit aux conséquences de l'oppression nationale (du Québec).
Voilà les éléments, nous montre Richet, qui ont été le terreau sur lequel a poussé ce criminel : une société criminogène.
Ce Mesrine a aussi des traits hyper-modernes dans sa volonté constante d'être célèbre, de passer à la télévision, de se mettre en scène jusqu'au bout, quitte à se déréaliser lui-même complètement
: mais on est là aussi en plein dans les tendances mortifères qu'engendre la "société du spectacle" marchandisée à outrance.
Bref, Mesrine n'est pas, ce nous semble, glorifié dans ce film : bien qu'en en étant le centre, il apparaît comme le produit exacerbé, cristallisé, des tendances les plus réactionnaires
existantes dans la société (lemachisme n'en étant pas une des moindres). Voilà en quoi ce film est véritablement un brûlot politique, dont la fabrication, après tout, a toujours été la vocation
de Richet. On en attend donc la seconde partie avec gourmandise...